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CHAPITRE XX
UN SECOURS INESPÉRÉ. — DÉLIVRANCE


Francesca, elle aussi, se disait que ce beau mais étrange visage qui était devant elle ne lui était pas inconnu. La vérité est qu’elle avait vu, et plus d’une fois, Nacéna à l’époque déjà un peu éloignée où la tribu des Tovas demeurait près de l’estancia, sur la rive du Pilcomayo. Cependant entre elles les rapports avaient été fugitifs. Nacéna connaissait mieux la jeune Paraguayenne. Moins jeune, plus curieuse peut-être, elle l’avait plus attentivement observée. Dans le silence, les souvenirs de chacune d’elles s’étaient précisés.

« Francesca ne reconnaît-elle pas Nacéna ? La jeune fille en grandissant a-t-elle perdu tous les souvenirs de l’enfant ? demanda Nacéna.

— Francesca reconnaît Nacéna, répondit Francesca dans la langue des Tovas. Nacéna est devenue grande et belle. »

Un sourire étrange, où se mêlait une sorte de dépit, répondit seul d’abord à Francesca ; mais bientôt, retrouvant son calme, Nacéna reprit :

« Francesca est devenue belle entre toutes. »

Le regard de Nacéna, fixé sur le beau et pur visage de Francesca, s’était voilé d’une sorte de tristesse sombre en prononçant ces paroles.

Francesca les accueillit par une légère rougeur.

L’Indienne continua : « Nacéna connaît les malheurs de Francesca ; elle vient lui offrir la liberté.

— La liberté ! répondit Francesca, la liberté !… Mon père est mort, et le désert me sépare de ma mère et des miens. S’ils veulent me rendre la liberté, pourquoi les Tovas me l’ont-ils ravie ? Ne le sais-tu pas, Nacéna ? les tiens sont les meurtriers de mon père…

— Les miens ! non, répondit Nacéna ; Valdez, le meurtrier, est un Visage pâle.

— Le fils de l’ami de mon père qui accompagnait le meurtrier de mon père, qui l’assistait, qui m’a entraînée jusqu’ici, Aguara, le traître et le félon, n’est pas un Visage pâle, dit Francesca en se relevant d’un mouvement soudain.

— Francesca calomnie Aguara, murmura la jeune Indienne — elle l’accuse d’un crime dont il est innocent.

— Aguara me fait horreur, répliqua Francesca avec véhémence. Soit-il à jamais maudit, maudit, maudit ! »

Nacéna, d’un mouvement brusque, alla droit à Francesca, les yeux brillants à la fois de joie et de colère.

« Ton frère, le jeune homme aux cheveux d’or, le brun Paraguayen que tu appelais ton cousin, et l’ami et le serviteur de ton père, le gaucho qui leur sert de guide, sont près d’ici, Ils t’attendent ; je leur ai promis de leur rendre Francesca. Suis-moi.

— Est-ce vrai ? est-ce vrai ? dit la malheureuse enfant, d’une voix haletante d’émotion.

— Pourquoi Nacéna te tromperait-elle ? répondit celle-ci. Pourquoi ? Nacéna donnerait sa main droite pour que déjà Francesca fût dans l’estancia de sa mère, pour qu’elle n’eût jamais, jamais paru aux yeux des Tovas, pour que le Chaco ne la revoie jamais. Nacéna était la fiancée d’Aguara. Viens, viens vite, Francesca, et quitte ce pays pour toujours. »

Prenant alors la jeune fille interdite par la main avec une sauvage vigueur, elle l’entraîna, sans lui demander de réponse, jusqu’à la porte du toldo. Mais une fois-là, la prudence de l’Indienne reparaissant soudain, elle s’arrêta ; et entr’ouvrant la porte avec précaution, elle jeta au dehors un regard scrutateur, comme si elle avait à redouter quelque ennemi invisible. Après quoi, revenant sur