Page:Reid - Aventures de terre et de mer, Hetzel, 1891.djvu/182

Cette page n’a pas encore été corrigée

muchachos, c’est peut-être une chance encore. J’ai lieu de croire que le fils du vieux cacique n’est pas tout-puissant ici. Il ne s’était pas fait aimer comme son père. On faisait, disait-on, de l’opposition à sa succession.

« Et d’ailleurs, fût-il chef suprême, il n’a pas un pouvoir absolu ; un cacique n’a pas le droit d’agir sans l’avis des anciens. C’est un magistrat élu et non un despote, nous sommes donc fondés à conserver encore quelque espoir. »

Après avoir exprimé cette série de conjectures, le gaucho resta pendant quelque temps silencieux et comme plongé dans ses réflexions.

« Malgré tout, reprit-il, il nous faut être attentifs et prudents. Ne précipitons rien. Il importe que nous connaissions bien notre terrain. Dans une heure la lune va disparaître derrière la pampa, et alors seulement il fera assez sombre pour ce que j’ai l’intention de tenter.

— Qu’allez-vous oser, Gaspardo ? demandèrent ensemble les deux jeunes gens au gaucho. Vous nous recommandez la prudence, ne soyez pas vous-même téméraire. Ne vous exposez pas pour nous, à notre place ; dites-nous vos projets et servez-vous du moins de nous dans une cause qui est la nôtre plus que la vôtre encore.

— Soyez tranquilles, répondit Gaspardo. Je ne suis plus d’âge et je ne suis pas d’humeur à risquer, sans avoir bien pesé mes chances, ma vie au moment où je la sais nécessaire à tous les vôtres. Je veux seulement pénétrer dans la ville, mais j’y veux pénétrer seul.

— Seul ! s’écria Cypriano ; vous vous exposeriez seul et pour nous ! et sans nous ! Ce n’est pas ce que vous nous promettiez tout à l’heure, nous ne le souffrirons pas.

— À coup sûr non, dit Ludwig à son tour. Si quelqu’un doit s’exposer ici, c’est moi d’abord et Cypriano ensuite.

— Aucun de vous deux ne peut s’aventurer seul au milieu des Indiens, reprit Gaspardo, et à quoi servirait-il que vous vinssiez avec moi ? Ce serait pire qu’inutile, car ensemble nous triplerions nos chances d’être surpris. Quant à moi, j’espère me glisser dans les toldos sans éveiller de défiance, et là apprendre quelque chose. Que les Indiens soient tous couchés ou non, je découvrirai, je pense, où est la niña, et ce sera déjà un pas de fait vers la délivrance. Pour le reste, ayons confiance en Dieu. »

Le raisonnement du gaucho était irréfutable. Il n’y avait aucune objection à élever contre le plan qu’il avait adopté. Les deux jeunes gens durent se résigner ; le sang-froid du gaucho leur était connu et la confiance qu’il avait dans le succès de son entreprise passa dans leur âme. Ils ne doutaient pas que Francesca ne fût dans la ville des Tovas et il ne leur paraissait pas impossible qu’une fois renseignés sur sa retraite ils parvinssent à la délivrer à l’aide de quelque adroit stratagème.

Le cœur leur battait d’espérance, mais il leur fallut attendre le coucher de la lune dont Cypriano, dans son impatience, ne cessait d’accuser la lenteur.

Tous les trois, couchés sur l’extrémité du plateau, ne perdaient pas des yeux le sentier qui descendait à la ville.

Les lumières s’étaient éteintes, mais cela ne prouvait pas que les Indiens fussent endormis. Les feux n’avaient été allumés que pour préparer le repas du soir, et, cet office terminé, ils n’étaient plus nécessaires. Le climat du Chaco est assez chaud pour dispenser ses habitants d’entretenir des brasiers.

Les Indiens n’étaient donc pas couchés, comme en témoignait le bruit de leurs voix dont Gaspardo entendait de temps en temps les accents apportés vers eux par la brise.

Cependant cela ne l’aurait pas empêché d’exécuter son projet et d’essayer de pénétrer dans la ville des Tovas si la lune eût disparu tout à fait.

Il avait modifié son costume en le faisant ressembler autant que possible à celui d’un Indien Tovas. Sa peau n’avait guère besoin d’être assombrie, car le gaucho était presque aussi bronzé qu’un indigène.

Enfin, la lune allait se perdre aux confins de la pampa. Déjà le gaucho se disposait à partir pour sa périlleuse expédition. Il venait de donner ses derniers conseils de prudence et de silence à ses compagnons, quand tout à coup leur attention fut éveillée par un léger bruit qui semblait se rapprocher d’eux. Ce bruit paraissait provenir des pas légers d’un être quelconque qui aurait remonté le sentier même, à l’entrée duquel ils s’étaient arrêtés pour se dire adieu.

Avaient-ils été épiés ? un ennemi avait-il surpris le secret de leur arrivée ?

Gaspardo murmura un mot à l’oreille de ses