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ment des chevaux. De crainte que l’une de leurs montures ne répondît, Gaspardo avait eu la précaution de leur couvrir la tête d’un sapado, ou pièce d’étoffe roulée pour les empêcher d’entendre.

Au-dessus de tous ces bruits, retentissaient les cris de deuil des hiboux qui, d’une aile rapide, volaient par intervalles au milieu des tombes aériennes, et les cris non moins lugubres du «  whip-poor-will » et du « willy-come-go ».

Les voyageurs, en proie à la plus grande perplexité, retournèrent auprès de leurs chevaux et continuèrent leur consultation sous l’échafaudage.

Cypriano, s’appuyant sur les mêmes motifs que précédemment, opinait pour descendre immédiatement à la ville, et Ludwig se rangeait à son avis.

À quelques pas d’eux, débouchait un chemin qu’ils pouvaient suivre aisément, et qui était sans doute celui par lequel les Indiens montaient à leur cimetière.

Ludwig répétait qu’il était persuadé que Naraguana les recevrait avec amitié et ne leur refuserait pas sa protection.

« Elle ne nous eût pas manqué certainement, dit Gaspardo, si nous nous étions adressés à lui plus tôt, mais aujourd’hui, mon cher Ludwig, il faut bien vous l’apprendre, il n’est plus en son pouvoir de nous protéger !

— Que voulez-vous dire ? » s’écria Ludwig violemment surpris et en jetant sur le gaucho un regard plein d’angoisses.


CHAPITRE XVIII
UN MORT RECONNU. — SHEBOTHA


Gaspardo, sans répondre à Ludwig, avait escaladé le tronc entaillé qui s’appuyait contre l’échafaudage, et examiné de là le corps étendu sur la plate-forme.

« Je le vois, dit-il alors, mes pressentiments ne m’avaient pas trompé. Naraguana est mort. Le voilà couché dans son vêtement de chef. Oui, c’est bien le visage du vieux cacique. Mort comme vivant, je le reconnaîtrais entre mille. »

Gaspardo descendit et laissa à ses compagnons la faculté de s’assurer à leur tour de la funeste nouvelle. Chacun d’eux examina le cadavre qui, paré de riches étoffes, et recouvert du magnifique manteau de plumes d’un chef, était couché de son long sur la plateforme inférieure. La lune qui commençait à descendre sur l’horizon, projetait sa lumière brillante sur la face calme et reposée du mort. Les deux jeunes gens le reconnurent immédiatement, chacun d’eux se découvrit et salua respectueusement les restes vénérables du digne vieillard qui avait été l’ami fidèle de leur famille. Après quoi, le cœur oppressé, les yeux humides, ils redescendirent auprès de Gaspardo.

Il n’était plus, celui de qui seul ils eussent pu attendre amitié, protection et justice !

« Voilà qui nous explique tout, dit Gaspardo. Naraguana est mort depuis quelque temps, et le jeune loup est maintenant chef delà tribu. Santissima ! nous avons bien fait d’avoir agi prudemment, et nous avons plus que jamais besoin de circonspection, car il n’y a plus de Naraguana pour nous défendre contre ces brigands. Pourtant je suis moi-même l’ami de quelques-uns d’entre eux. Tous les Indiens ne sont pas méchants. J’ai rendu service à un de leurs grands guerriers qui ne me refuserait pas un coup de main en cas de nécessité. Il avait une certaine autorité du temps de Naraguana et je pense qu’il l’aura conservée. Oui,