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tails au-dessus de leurs têtes et leur dérobaient presque la vue du ciel.

Il n’existait point de sentier. Ils se maintenaient dans une dépression de terrain qui semblait être le lit desséché d’un torrent. Quand elle s’effaça, ils continuèrent au milieu d’un fouillis de plantes grimpantes que Gaspardo appelait des « sipos54 ».

Quelquefois un arbre tombé, gisant en travers de leur route, arrêtait leur progrès et les obligeait à faire un détour ; ils étaient encore plus souvent retardés par le taillis épais de plantes et de buissons épineux. Le gaucho descendait alors de cheval et se servait de la lame tranchante de son machete pour se frayer un passage.

La nuit arriva avant qu’ils eussent atteint le point culminant de la montagne, mais un brillant clair de lune suivit le crépuscule, et çà et là un rayon de lumière, perçant le feuillage, venait guider leur ascension. Ils étaient aussi aidés par la lueur des cocuyos55 voltigeant au milieu des arbres comme des esprits lumineux en quête d’un asile de repos.

Autour du sommet, la végétation était moins épaisse et laissait apercevoir le firmament et la lune.

Quand les sabots des chevaux foulèrent enfin le sol uni du plateau, leur cavaliers se trouvèrent en face d’un spectacle étrange qui leur fit soudainement serrer les rênes ; les jeunes gens même eurent peine à retenir un cri d’étonnement.

Au-dessus d’eux s’élevaient de bizarres échafaudages dont la lune projetait les ombres allongées sur le terrain horizontal.

Cypriano et Ludwig se sentaient, en dépit de leur volonté, comme pénétrés d’un sentiment de terreur. Le gaucho, bien qu’il fût surpris comme eux par l’aspect que lui offrait le plateau, se rendit promptement compte du spectacle offert à leurs regards. Il reconnaissait un cimetière indien, et il n’y avait là rien de nouveau pour lui. En quelques mots il expliqua à ses jeunes compagnons la destination de la montagne qu’ils venaient de gravir.

Les voyageurs firent halte sous celui de ces échafaudages qui donnait l’ombre la plus large, et mettant pied à terre, ils attachèrent leurs montures aux poteaux qui le supportaient.

Cette ombre les cachait aux yeux de quiconque eût passé de côté. Au reste, la place était peu tentante, même pour des rôdeurs de nuit. Le respect des aïeux est tout-puissant encore parmi ces tribus.

Il était à croire qu’aucun Indien ne se hasarderait en cet endroit.

Gaspardo et les deux jeunes gens tinrent de nouveau conseil sur la résolution qu’il convenait de prendre.

Il y avait une bonne demi-heure que le soleil était couché, mais le splendide clair de lune tropical, reflet d’un ciel sans nuages, continuait à rendre tout visible autour d’eux.

Gaspardo en était médiocrement satisfait. Si la nuit avait été sombre, il se serait glissé dans la tolderia et aurait pu ainsi se renseigner sur le lieu où Francesca était retenue. Qui sait même s’il n’aurait pas trouvé le moyen de l’avertir qu’elle avait des amis dans les environs, et qu’on venait à son secours ?

Les Tovas, ainsi que la plupart des sauvages de l’Amérique du Sud, ne font pas autour de leur camp une garde aussi rigoureuse que leurs frères de l’Amérique du Nord. Dans la profonde solitude du Chaco, ils ne sont pas troublés par l’homme blanc, et les tribus qui vivent souvent à une grande distance les unes des autres, n’ont pas besoin d’exercer une vigilance incessante comme celle qui est nécessaire dans un campement de Crows, de Pawnees ou d’Arapahoes.

Le gaucho connaissait bien les habitudes des Tovas et il était persuadé qu’il pourrait pénétrer dans leur village sans crainte d’être découvert, à la condition d’être favorisé par l’obscurité.

Mais, dans les circonstances actuelles, une ruse de ce genre avait peu de chance de succès. Malgré l’habileté de son déguisement et la nonchalance des Indiens, la lune ne manquerait pas de le trahir.

Du bord du plateau où les trois conjurés s’étaient rendus après avoir mis leurs chevaux à l’abri, ils pouvaient voir les feux du village. Ces feux brûlaient en plein air aux endroits où les Indiens faisaient leur repas du soir. Ils apercevaient des formes humaines passant et repassant devant les flammes, et, bien qu’à près d’un mille de distance, ils distinguaient les voix des hommes, des femmes et des enfants portées jusqu’à leurs oreilles à travers la silencieuse et tranquille atmosphère de la nuit. On entendait les beuglements des bœufs, l’aboiement des chiens et parfois le hennisse-