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tels que peut être il n’en avait jamais été rendu de pareils à aucun cacique des Indiens Chaco.

Le ciel d’un bleu d’azur qui couvre ordinairement les plaines du Gran Chaco commençait à prendre les teintes pourpres plus sombres du crépuscule ; les ombres des palmiers s’allongeaient sur la surface d’un lac clair et tranquille et s’effaçaient graduellement à l’approche de la nuit. Une jeune fille s’avançait lentement et venait s’asseoir sur une pierre tout au bord de l’eau.

Cette partie du lac était celle près de laquelle s’élevaient les huttes des moyens Tovas ; la jeune fille était sortie de l’une de ces huttes. Elle était elle-même Indienne, et, à en juger par sa remarquable beauté, par les ornements de son costume et de sa personne, par les perles et les bandelettes qui entouraient son cou, ses bras et ses chevilles, elle devait être l’héritière d’une des grandes familles de la tribu.

Les autres membres de cette tribu, hommes, femmes et enfants, pouvaient être aperçus à peu de distance, parmi les huttes du village et sur la plaine découverte qui s’étendait près du lac. Dispersés par groupes, ils se livraient à diverses occupations appropriées à leur âge ou à leur sexe.

Devant les wigwams se trouvaient les femmes et les jeunes filles ; quelques-unes tenaient des corbeilles tissées avec des rameaux fendus du palmier ; d’autres recueillaient le miel de l’abeille tosimi rapporté en rayons par leurs époux ; d’autres encore faisaient la cuisine devant des feux en plein air ou s’occupaient à fabriquer des hamacs, ou bien enfin, d’une main habile, ornaient une peau de daim avec des fragments de plumes colorées, pour confectionner ces manteaux qui ont rendu célèbres dans le monde entier les aborigènes de l’Amérique.

Les enfants jouaient autour de leurs mères et dans leurs jeux formaient des groupes dignes du ciseau des plus illustres artistes.

Les hommes causaient des affaires de la journée, tandis que les dépouilles de la chasse, les poissons du lac et le daim des vallées étaient déposés devant l’entrée des toldos et confiés à la garde de quelques femmes.

Sur la plaine qui constituait le pâturage commun de la tribu, on apercevait aussi un grand nombre d’indiens à cheval courant comme des centaures et rassemblant les chevaux, les moutons et le bétail, car les Tovas sont assez civilisés pour élever des troupeaux.

Tous ces chevaux, ces moutons et ce bétail avaient probablement été volés aux blancs, mais ce vol n’est point considéré comme un délit par les sauvages. La guerre chez eux n’a d’autre but que de pourvoira leurs besoins.

Autour du village et sur la plaine, la scène qui se présentait aux regards était une scène de paix. Ce n’était pas la vie sauvage avec ses indigènes grossiers et ses passions sanguinaires ; c’était un tableau d’une innocence apparente, presque arcadienne. Nous avons dit apparente, parce qu’en effet, contrairement à un préjugé que certains esprits superficiels ont essayé de propager, la civilisation, qui n’est autre chose pour les nations que ce qu’est l’éducation pour les individus, est un flambeau nécessaire aux progrès des mœurs. Les peuplades que régissent les seules notions primitives de l’intérêt, de l’instinct, de l’égoïsme matériel, n’ont aucune idée de ce qu’on appelle la morale sociale.