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Quelques-unes étaient des wigwams affectant une certaine ressemblance avec ceux des Indiens des prairies du Nord ; seulement, au lieu d’être couvertes en peaux de buffalos, elles l’étaient en peaux de chevaux sauvages du Chaco.

D’autres offraient une construction encore plus grossière ; c’étaient de simples abris obtenus au moyen des branches recourbées et couvertes des feuilles du palmier cuberta. Ces huttes servaient de demeures aux plus pauvres membres de la tribu et aux esclaves des Tovas.

Malgré le peu de solidité de tous ces logis, la tolderia en question était mieux qu’un campement passager. Un grand édifice avec des murs en troncs de palmiers et couvert en cuberta indiquait une résidence plus persistante. Ce bâtiment occupait une position bien en vue au milieu de l’agglomération des toldos et des cabanes, et était entouré d’un espace vide comme celui qu’on voit autour de l’église dans une ville de l’Amérique espagnole. Cependant sa destination n’était pas religieuse, mais politique, ou plutôt municipale ; c’était la malocca ou maison du conseil, assez semblable à celles qu’on rencontre dans les villages des Indiens de l’Amérique du Nord.

En outre de l’existence de cet édifice, il apparaissait d’autres preuves que cette résidence actuelle des Tovas n’était pas temporaire.

On pouvait s’en assurer en gravissant la colline qui dominait le lac. Là, sur un vaste plateau couvert d’une épaisse végétation de palmiers nains, on découvrait un certain nombre d’échafaudages placés sur des pieux soutenant une double plate-forme. La plateforme inférieure ressemblait à un lit élevé sur quatre pieds gigantesques, et la supérieure tenait lieu de toit.

On accédait à la première, non sans quelque peine, au moyen d’une pièce de bois entaillée, dressée en guise d’échelle.

Après avoir exécuté cette ascension, on se trouvait en face d’un squelette, couché sur le dos, recouvert encore de sa peau ridée et fortement tendue.

Alentour, sur le bord de la plate-forme, était rangée une collection d’objets de tous genres ayant appartenu au mort : sa lance, ses bolas et sa matacana ou massue de guerre. Son poncho était à demi étendu sur lui en guise de linceul. Quand c’était un chef qui se trouvait ainsi exposé, on mettait encore près de lui une magnifique manta en plumes et d’autres insignes de son rang. Le tout était protégé contre la pluie par le toit de cette tombe aérienne.

La colline qui s’élevait au-dessus de la tolderia des Tovas était tellement couverte de ces singuliers mausolées, dont quelques-uns remontaient à une date ancienne, qu’on pouvait à vue d’œil évaluer son antiquité.

En effet, cette tolderia était l’une des plus anciennes villes des Tovas, c’est-à-dire toujours de cette sous-tribu dont Naraguana avait été le chef. Bien qu’elle ne fût pas continuellement occupée par eux, car ces corsaires de la Pampa n’habitent nulle part d’une façon complètement permanente, ils la regardaient comme leur véritable résidence, comme leur lieu de sépulture. Dans quelque endroit que l’un d’eux mourût, à moins d’être un pauvre esclave, ou un humble dépendant de la tribu, ses amis ramenaient ses restes à la ville sacrée et les déposaient sur l’échafaudage de sa famille, au sommet de la montagne des morts.

On faisait mieux encore quand on supposait qu’un cacique ou un grand dignitaire approchait de sa fin. Alors le peuple tout entier, suspendant ou abandonnant toute expédition commencée, se hâtait de retourner avec lui à la tolderia et s’y fixait jusqu’au moment où il rendait le dernier soupir. Souvent ces Indiens, dans cette appréhension, renonçaient à leur vie nomade et se refusaient pendant des années le libre parcours du Chaco et surtout les excursions au delà de ses frontières.

Un pareil fait s’était présenté récemment pour les sujets de Naraguana. Lié par cette antique coutume, le chef vénéré, en sentant s’appesantir sur lui le faix des années et prévoyant que sa fin était proche, avait remonté du côté du soleil couchant la vallée du Pilcomayo, vers les tombes où étaient déposés les restes de ses ancêtres.

Il aurait voulu donner avis de son intention à son ami le naturaliste, mais il ne l’avait pas pu.

La veille de son départ, le vieux chef indien avait été soudainement attaqué par une maladie qui le menaçait depuis longtemps. Ses facultés physiques et mentales furent paralysées à la fois, et il accomplit son voyage à la ville sacrée dans un état complet d’inconscience et porté sur une litière.

De là il avait été presque immédiatement conduit sans vie à la montagne des morts, au milieu de la foule de ses sujets en larmes et déposé sur son échafaudage avec des honneurs