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toute différente ; sa mission n’était pas entièrement remplie. Il le savait ; mais il savait aussi que l’estancia n’était pas sans défenseurs, et que ceux-ci, bientôt instruits de la catastrophe, seraient nécessairement sur leurs gardes. Quelle chance, dès lors, aurait-il eue de pouvoir, à lui tout seul, enlever de vive force Mme Halberger ? En outre, Valdez ne se sentait pas libre d’agir entièrement à sa guise. Il était lui-même à demi captif, et s’il revenait avec les Indiens, c’est qu’il y était forcé. Autrement, il serait allé tout de suite rôder autour de l’habitation de sa victime pour reconnaître la situation. Ces jeunes guerriers, et surtout leur chef, alarmés de ce qui s’était passé, craignirent l’impression que ferait cette histoire sur les anciens de la tribu. Il fallait que le vaqueano prît sur lui la responsabilité du meurtre, ainsi qu’il s’était déclaré prêt à le faire, pour lever leurs soupçons, après qu’il l’eut accompli. Il mettrait son action sur le compte d’une inimitié existant entre lui et Halberger depuis de longues années, et dès lors il savait que la loi des Indiens l’absoudrait.

Aguara n’avait pas manqué de l’engager à revenir avec lui, et il l’y aurait contraint s’il avait refusé, mais Valdez avait préféré accepter sans résistance. Il se disait qu’il retrouverait bientôt l’occasion d’accomplir le surplus de sa sinistre mission. Avec l’aide de deux ou trois bandits de son espèce qu’il n’aurait pas de peine à embaucher, la senora Halberger tomberait infailliblement en son pouvoir.

Le jeune chef, de son côté, avait déjà préparé l’explication qu’il devait donner de l’enlèvement de la jeune fille. C’était pour la protéger qu’il l’emmenait ; pouvait-il l’abandonner dans le désert au risque de l’y laisser périr ?

Malgré tout cependant, il gardait au fond de son cœur une appréhension secrète. Il craignait la désapprobation des vieillards, les hommes vénérables de la tribu, les amis de son père mort, et qui par suite étaient devenus les amis de cet ami de son père si odieusement assassiné par Valdez, à quelques pas du jeune chef, sans que celui-ci eût tenté de s’y opposer.


CHAPITRE XVI
LA VILLE SACRÉE DES TOVAS


Sur le bord d’un beau lac dont les eaux tranquilles reflétaient les hautes tiges et l’épais feuillage des palmiers miriti, s’élevait la tolderia des Tovas ou du moins de cette branche ou sous-tribu qui depuis longtemps reconnaissait Naraguana pour son cacique.

Le village était situé sur la lisière d’une plaine unie et verdoyante comme la pelouse d’un parc, fuyant à perte de vue le long du lac et parsemée de bouquets de palmiers et de buissons d’acacias.

D’un côté du lac, une montagne solitaire, boisée jusqu’à son sommet, se dressait à plusieurs centaines de pieds au-dessus de la plaine et au lever du jour projetait sa grande ombre sur le bassin dont elle dominait le bord oriental.

Entre sa base et l’eau s’étendait un espace découvert, sans arbres ni buissons et d’environ une demi-lieue carrée, où les demeures des Indiens étaient groupées à proximité de la forêt.

La construction en était toute primitive ; ce n’était rien de plus que des toldos ou tentes.

Ces tentes n’étaient pas de l’espèce ordinaire de celles qui sont formées d’une couverture de toile soutenue par des piquets, elles ne présentaient pas même toutes une façon identique.