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qu’il s’était résolu à explorer aussi les solitudes redoutables du Gran Chaco.

Le pays ne lui était pas complètement inconnu. Il l’avait déjà traversé dans une expédition projetée et payée par le dictateur du Paraguay. Muni d’argent et de menus objets, il avait fini par visiter la tribu des Tovas, alors en relations amicales avec « El Supremo ».

Actuellement même qu’il les savait hostiles, il n’en redoutait rien, car, durant son séjour parmi eux, il leur avait rendu certains services qui lui avaient gagné l’amitié de la tribu. D’ailleurs, il n’était pas homme à s’aventurer entièrement au hasard. Pendant qu’il était au Fort Coïmbra, sur la frontière brésilienne, une rumeur venant du centre du Chaco lui avait révélé l’existence d’un homme blanc installé au milieu du désert, sous la protection du chef de la tribu des Tovas. Il obtint encore d’autres détails sur le colon. Celui-ci avait à ce qu’on disait, une femme et des enfants ; il se livrait à l’étude des plantes et des oiseaux et ne dédaignait même pas la chasse des plus humbles insectes.

Ce blanc ne pouvait être qu’Halberger. Il était impossible à Valdez de se tromper sur de tels renseignements ; il tenait enfin la piste de l’homme dont lui-même et Gaspar Francia avaient juré la parte.

Il partit de Coïmbra et, après un mois employé à traverser la grande plaine déserte, il atteignit le Pilcomayo, près de l’ancienne tolderia des Tovas. Il connaissait le pays, de telle sorte qu’il les eut bientôt rejoints. Pour la première fois, il obtint dans la tribu des informations précises sur les fugitifs. Ses cinq années de courses errantes allaient donc être récompensées. Il ne lui restait plus qu’à retourner à Asuncion et à s’y procurer une force suffisante de cuarteleros pour faire prisonniers le naturaliste et sa famille, et les remettre à la merci du dictateur.

Il n’avait pas à se demander si, après un si long délai, le courroux et la passion de Francia n’étaient point apaisés ; pendant sa longue chasse à l’homme, il était plusieurs fois retourné à Asuncion et il savait de science certaine que le despote du Paraguay n’oubliait et ne pardonnait jamais. Leur traité secret tenait toujours.

Le vaqueano n’aurait pas eu besoin de guide pour le conduire à l’endroit où habitait Halberger. Les renseignements topographiques fournis par les Indiens suffisaient, et de reste, à un homme aussi sagace que lui : mais le jeune chef Tovas qui était son ami, Aguara, accompagné de quelques jeunes guerriers de sa tribu, avait projeté une excursion dans le bas de la rivière ; leur route était la même, Valdez lui offrit de se joindre à eux.

Les anciens de la tribu ne firent pas d’objections à cette excursion. Bien qu’ils n’eussent qu’une confiance médiocre dans la loyauté du renégat, ils ignoraient sa haine contre Halberger et ne pouvaient soupçonner le noir projet qu’il méditait.

Quant au jeune chef, on sait quel était son rêve. Lui et le vaqueano étaient faits pour se prêter une mutuelle assistance.

Disons cependant, pour être juste, qu’Aguara n’était pas parti avec l’intention d’exécuter un crime aussi atroce que celui de Valdez, et qu’il ne prit effectivement aucune part au meurtre d’Halberger. Il ne l’aurait pas osé, ne fût-ce que dans la crainte d’encourir la réprobation de sa tribu.

L’infâme Valdez lui-même n’avait peut-être pas été jusqu’à l’assassinat, de propos délibéré. De fait, la mort d’Halberger seul, le rapt de la jeune fille sans sa mère lui faisaient perdre une partie de la récompense promise par l’homme qui était l’instigateur de sa noire entreprise. Le meurtre avait été déterminé par des circonstances purement accidentelles qui s’étaient produites non loin de la résidence du naturaliste.

Valdez et les Indiens avaient rencontré inopinément celui-ci pendant qu’il était en train d’herboriser. Le rénégat, se trouvant ainsi en présence de son ennemi, s’était laissé emporter par un mouvement do haine farouche. Il le frappa de sa lance, l’atteignit, comme ou l’a rapporté, traîtreusement alors qu’il avait le dos tourné et sans qu’un seul mot fût prononcé. Ce fut l’œuvre d’un moment.

En voyant Halberger mort et la jeune fille mise par là à sa merci, l’ambition sauvage d’Aguara se réveilla. N’ayant pas à redouter la responsabilité morale de l’action sanglante qui lui livrait sa proie, il crut pouvoir en recueillir le bénéfice et n’hésita pas à emmener Francesca dans sa tribu.

Il peut sembler étrange que Valdez, au lieu de poursuivre jusqu’à l’estancia, pour essayer d’achever son œuvre en s’emparant de la femme d’Halberger, se fut décidé à rentrer dans le Chaco avec le jeune chef des Tovas et sa troupe. Sa route eut été dans une direction