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CHAPITRE XV
LA PISTE RETROUVÉE


Pendant quelques secondes, une minute peut-être, il y eut un profond silence ; chacun d’eux, penché sur le sol, était occupé de son propre examen. La voix du jeune Paraguayen se fil entendre la première.

« Je le savais bien ! » tels furent les simples mots qu’il prononça, comme s’il venait de voir s’éclaircir quelque mystère ou quelque doute se vérifier.

« Quoi donc, cousin ? demanda Ludwig, qui était le plus proche.

— Voici l’empreinte du cheval de Francesca.

— En êtes-vous sûr, Cypriano ?

— Oui, je l’aurais reconnue entre mille.

— Il a raison, dit le gaucho, après avoir jeté un coup d’œil à l’endroit indiqué. C’est l’empreinte de son poney, bien certainement.

— Voici encore quelque chose ! s’écria Cypriano, dont les yeux animés d’un feu extraordinaire s’étaient portés de tous côtés. Regardez ceci ! »

Il avait ramassé un bout de ruban rouge décoloré pour avoir été sans doute foulé aux pieds des chevaux et maculé par la boue. Il se rappelait ce ruban et le reconnaissait pour avoir fait partie de la coiffure de Francesca ; c’était un fragment du nœud qui serrait à leur extrémité les deux longues tresses de la jeune fille.

« Et ceci en outre, ajouta-t-il d’un ton encore plus véhément, que concluez-vous de ceci ? Ô Maria santissima ? Je m’y attendais bien, ce que je vous disais était vrai, Ludwig ! »

Ce débordement soudain de colère était produit par un fragment de plume rouge qu’il venait de ramasser dans la fange. Dans le tuyau de cette plume, on remarquait encore une piqûre, indice du passage de l’épine ou de l’aiguille qui avait servi à coudre et à fixer cet ornement sur le vêtement d’un Indien. Ce débris ne pouvait provenir que de la manta de plumes d’un chef d’où elle s’était sans doute détachée pendant la tormenta.

Mais Cypriano en savait davantage encore. Il connaissait le propriétaire de la manta ; il se souvenait d’avoir vu un vêtement brodé de pareilles plumes sur les épaules d’Aguara. Il ne doutait pas que cette plume n’appartint au manteau du jeune chef Tovas.

Ainsi étaient justifiés tous ses pressentiments. Que fallait-il de plus pour faire partager à ses compagnons les soupçons qu’il avait émis en commençant l’expédition ? Il existait maintenant a cet égard une certitude non seulement pour lui, mais aussi pour Ludwig et Gaspardo. Ludwig, qui avait jusque-là conservé sa foi en l’amitié de Naraguana pour son père, était accablé par cette preuve de la trahison du vieux chef, ou du moins de son fils.

« Oui, lui dit Cypriano, le double crime qu’ils ont commis est si horrible qu’il peut paraître incompréhensible. Ce sont bien eux les coupables cependant, et Dieu ne permettra pas qu’ils restent impunis. À présent, à cheval ! Nous ne devons plus nous reposer un instant que nous ne les ayons rejoints et que nous n’ayons obtenu justice et vengeance.

— Oui, oui, marchons, s’écria à son tour Ludwig. Il n’y a pas une minute à perdre. »

En vain Gaspardo leur représentait-il que si le jeune chef avait prémédité, comme Cypriano le pensait, de faire de Francesca sa femme, celle-ci n’avait rien à craindre de lui tant que les cérémonies et les délais préliminaires, toujours très lents, de cette union n’auraient pas été accomplis, rien ne pouvait les calmer.

De même que pour la clarté de cette his-