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Gaspardo ajouta alors quelques faits à la théorie présentée par Ludwig.

Il raconta que les œufs de la grande espèce sont de telle dimension que chacun pèse plus qu’une douzaine et demie d’œufs de poules ordinaires. Un nid en contient habituellement de vingt à trente, mais quelquefois on en trouve jusqu’à cinquante. Il confirma les paroles de Ludwig au sujet de l’incubation accomplie par le mâle, et dit que c’était lui qui promenait ses poussins tout le temps qu’ils avaient besoin d’un protecteur. Pendant qu’il couve, le mâle s’écarte fort peu du nid et reste à son poste jusqu’à ce que les pieds du cheval du voyageur soient au moment de l’écraser. Mais, quand il est troublé, il se fâche et devient même dangereux. Gaspardo connaissait un exemple d’un cavalier attaqué sur son cheval. Ils attaquent en sautant en l’air, puis en frappant ou en donnant des coups avec leurs longues et fortes jambes, et ils ne cessent pas de siffler avec force, à peu près comme un jars en colère. Ils produisent ce sifflement dans d’autres occasions, et le son en est si étrange qu’on ne saurait dire d’où il provient et qu’on ne pourrait jamais croire que c’est l’organe d’un oiseau si l’on n’avait pas l’autruche elle-même devant les yeux.

Ici Ludwig interrompit Gaspardo pour dire qu’il en était de même de l’autruche africaine ; les voyageurs prennent souvent son violent sifflement, qui a un son de clairon, pour le rugissement d’un lion ou d’une autre bête sauvage.

Gaspardo raconta alors que ces oiseaux étaient craintifs et très difficiles à approcher, que lorsqu’ils sont effrayés ils courent toujours contre le vent, que les gauchos profitaient même de cette particularité pour se diriger d’abord au-dessus du vent, puis ils envoient un homme du côté opposé pour les rabattre. En apercevant les cavaliers rangés en demi-cercle autour d’elle, l’autruche perd la tète, court au hasard, de sorte qu’il est facile aux gauchos de l’abattre avec leurs bolas ou de la prendre au lazo.

Les trois voyageurs causèrent ainsi jusqu’au moment où la nuit répandit son voile d’obscurité sur la plaine. Alors, s’étendant sur leurs peltones et se couvrant de leurs ponchos, ils s’endormirent profondément.


CHAPITRE XIV
LES VIZCACHAS


Le lendemain, au lever du jour, ils étaient debout ; et après un déjeuner dont l’autruche grillée fournit le menu, ils sellèrent leurs chevaux et partirent en suivant toujours la rive du Pilcomayo.

Ils s’avançaient rapidement, car leurs chevaux étaient bien reposés et presque entièrement remis des commotions électriques causées par les raies ; les cavaliers augmentaient encore la vitesse de leur allure chaque fois qu’ils pensaient à leur chère Francesca.

Ils n’avaient cependant pas encore avancé leur marche au gré de leur désir, quand ils arrivèrent à un endroit où le Pilcomayo faisait un grand détour en laissant dans la concavité de l’arc formé par son cours un espace de terrain stérile et sans arbres.

Gaspardo connaissait le caractère de la contrée jusqu’à une certaine distance en avant. Il pensa que toute règle pouvait souffrir une exception, et qu’au lieu de suivre cette fois encore le fleuve, il serait préférable de couper au court à travers le désert, du moment où l’on était assuré de retrouver l’eau sur un point plus élevé. Il s’appuyait sur la supposition que, si les Indiens avaient remonté la rivière,