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comme les veaux et les autres mammifères se nourrissent de lait. Ludwig, suivant l’opinion de son père, niait que ces œufs isolés fussent destinés à cet usage et affirmait que l’oiseau les laisse tomber et ne les dispose pas à dessein.

Gaspardo était du même avis ; il dit savoir pertinemment que les oiseaux ne s’approchaient jamais des « huachos47 » et que ceux-ci demeuraient sur le sol où ils pourrissaient. Il croyait aussi que ces œufs étaient abandonnés parce qu’il n’y avait plus place pour eux dans le nid. Comme le mâle se charge de l’incubation et qu’il y a plusieurs femelles dans la famille, il se trouve souvent plus d’œufs qu’il n’en peut couver et que le nid n’en pourrait contenir.

Après avoir ainsi discuté les habitudes générales des autruches, le naturaliste apprit à ses compagnons qu’une troisième espèce de struthio appartient au grand continent de la Nouvelle-Hollande, plus communément appelé Australie. C’est l'ému, véritable autruche qui ressemble beaucoup par ses habitudes à celles de l’Afrique et de l’Amérique du Sud. Elle s’en distingue, il est vrai, par son apparence, mais pas plus cependant que celles-ci ne diffèrent l’une de l’autre et surtout pas plus que l’autruche mâle d’Afrique ne diffère de ses propres femelles.

« En comparant ces trois espèces, dit Ludwig, nous pouvons regarder l’espèce africaine comme la plus grande, celle d’Australie comme la plus petite, tandis que celle de l’Amérique du Sud tient à peu près le milieu par sa taille. Une autruche femelle a la taille d’un rhéa mâle et n’en diffère guère par sa couleur, tandis qu’un rhéa femelle, pour les dimensions et la couleur, peut se comparer à un ému mâle. Quoiqu’elles appartiennent à trois parties bien distinctes du globe, continua le jeune savant, elles ne constituent évidemment que des espèces du même genre. J’ai entendu mon père dire qu’il n’y avait pas la moindre raison, sauf celle de satisfaire les élucubrations des naturalistes de cabinet, pour les décrire comme appartenant à des genres distincts : l’africaine sous le nom de struthio camelus, et la sud-américaine sous celui de rhea-americana, au lieu de struthio rhea, ainsi qu’on devrait l’appeler. »

Ravis de voir Ludwig arraché pour un moment à ses préoccupations, ni Gaspardo ni Cypriano n’interrompirent la dissertation du jeune naturaliste. Celui-ci n’avait pas encore fini et bientôt il reprit la parole en ces termes :

« Il existe un autre oiseau appartenant à la famille des autruches ou qui lui est allié de près et au sujet duquel on possède moins de renseignements que sur les trois autres espèces : c’est le « cassowary », trouvé dans la plupart des grandes îles de l’Archipel des Indes orientales. Il y a aussi une curieuse bête sans ailes, appelée pour cette raison aptéryx, récemment découverte dans la Nouvelle-Zélande. Les naturalistes en ont même décrit au moins deux espèces, et l’on suppose qu’une troisième, sinon une quatrième, existe dans les montagnes boisées des îles Maori. L’apteryx a été classé avec les autruches, auxquelles il ressemble sous quelques rapports, principalement en ce que ses ailes ne sont pas assez fortes pour lui permettre de voler. Mais cette classification est loin d’être correcte. Le cassowary pourrait à la rigueur être admis dans la famille des struthios. Cependant, il n’y a véritablement que trois espèces d’autruches : l’africaine, l’australienne et l’américaine.

— Trois espèces seulement ! s’écria Gaspardo. Que dites-vous, senor Ludovico ! Mais il en existe deux espèces ici, sur les pampas !

— Vous devez vous tromper, Gaspardo, répondit tranquillement Ludwig.

— Oh ! non, senorito. Je les ai vues moi-même, et j’en ai attrapé bien des fois quand j’étais avec le général Rosas en expédition contre les Indiens du sud. C’était à environ une centaine de lieues au sud de Buenos-Ayres, près du Rio-Colorado. C’est là qu’on trouve l’autre espèce d’avestruz que nous autres gauchos nous appelons « petise48 ». Sa grosseur est d’environ les deux tiers de celles-ci, mais les œufs sont à peu près de même grosseur ; ceux du petise ont seulement une forme différente et leur couleur est d’un bleu pâle. Les jambes de l’oiseau sont plus courtes et ses plumes descendent plus bas, à plusieurs pouces au-dessous du genou, de façon que l’animal ne peut courir aussi vite et est bien plus facile à prendre que le rhéa, comme vous devez le penser. »

Cette assertion était toute nouvelle pour Ludwig comme pour Cypriano. Quoique tous les deux eussent été élevés dans l’Amérique du Sud, ils n’avaient jamais entendu parler d’une espèce d’autruche sud américaine autre que celle qu’ils connaissaient pour l’avoir vue nombre de fois49.