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s’occupait à ramasser du bois pour le feu et Cypriano à se débarrasser de son déguisement. Il lui fallut un certain temps pour repasser de l’état de grue à celui de Paraguayen, car la poudre dont Gaspardo l’avait barbouillé exigea d’abondantes ablutions avant de disparaître. Heureusement, un ruisseau coulait près de là ; du reste, sans ce voisinage, les voyageurs n’auraient pas campé en cet endroit. Camper loin de l’eau ne vient jamais à l’idée de personne, sauf quand on y est contraint impérieusement, dans un désert, par exemple.

Pendant le temps employé par le jeune Paraguayen à ôter la belle chemise de Gaspardo, à retirer de ses jambes les liens qui les entouraient et à se débarbouiller, le feu flambait, et devant la flamme les morceaux délicats du rhéa, choisis par le gaucho, grillaient en répandant un fumet de bon augure.

Le thé se préparait aussi. Par bonheur, le sac contenant la yerba et les instruments à thé, le maté et la bombilla, qu’on avait cru perdu, fut inopinément retrouvé. Au lieu de l’avoir attaché à la selle de Ludwig, le gaucho l’avait, paraît-il, placé sur sa propre selle, où il était caché sous les nombreuses courroies du recado. Sans cette circonstance, le précieux condiment serait tombé avec le reste au fond du riacho. Or, sans sa « yerba », un Paraguayen ne peut être à son aise. Satisfaits d’avoir du moins ce paquet en bon état, tous les trois se sentaient dans une favorable disposition d’esprit, autant, bien entendu, que cela leur était permis par le chagrin commun, toujours présent à leur mémoire. La nature semblait les protéger contre une trop écrasante douleur, en les obligeant à en distraire leur pensée, par suite des incidents émouvants qui ne cessaient de se présenter à eux. Autrement, ils eussent été accablés sous le poids de leur affliction.

Tous trois savouraient les douceurs du repos assis autour du feu pétillant, en attendant que l’eau fût en ébullition et que la chair d’autruche parut suffisamment rôtie. Ils ne restaient pas silencieux. Gaspardo ne voulait pas laisser ses jeunes compagnons à leurs tristes réflexions, et, pour les distraire, il ne cessait de les entretenir d’un sujet ou d’un autre.

Tout naturellement, la conversation roula sur les autruches ou « rhéas », ainsi qu’on nomme les espèces sud-américaines du genre struthio.

Ce sujet présentait un grand intérêt pour Ludwig, et, en le traitant, il étala devant ses compagnons tout le bagage scientifique qu’il avait recueilli dans les livres ou appris de la bouche de son père. Il leur raconta tout ce qu’il savait touchant les espèces d’autruches répandues sur la surface du globe.

Il y a d’abord la grande espèce africaine « struthio camelus », la plus grande de toutes, appelée « struthio » par les Romains et « camelus » par les ornithologistes, parce que l’oiseau, dans sa structure générale, a, en effet, un rapport marqué avec le chameau du désert. Cette ressemblance est si frappante que les colons hollandais du cap de Bonne-Espérance, ignorants du nom scientifique, l’avaient aussi observée, et avaient en conséquence donné à l’autruche le nom d’ « oiseau-chameau ».

Ludwig dit aussi que l’autruche africaine, quoique d’une taille beaucoup supérieure au rhéa de l’Amérique du Sud et différent de celui-ci par la couleur de son plumage, lui est presque identique relativement à ses habitudes. L’une et l’autre habitent les pays de plaines ; rarement on les rencontre dans les endroits boisés ou rocheux ou sur les flancs des montagnes. Il est vrai qu’on trouve l’autruche américaine dans les Cordillères des Andes à une hauteur de 8 000 pieds au-dessus du niveau de la mer, mais seulement dans les plaines ou « paramos », plateaux élevés qui s’étendent entre les deux grandes chaînes de montagnes et non pas sur les montagnes elles-mêmes. Elles affectionnent les espaces stériles appelés ordinairement déserts ; pourtant on les rencontre quelquefois dans de fertiles plaines couvertes de gazon, telles que les pampas de la Plata et les savanes du Chaco. Elles possèdent les mêmes habitudes singulières pour la construction des nids et l’incubation. De même que nos coqs, l’oiseau mâle garde plusieurs femelles sous sa protection, avec cette différence que celles-ci déposent toutes leurs œufs dans le même nid, au-dessus duquel, par un étrange intervertissement de fonctions, le mâle s’accroupit pour couver. Quant aux femelles, elles ne se bornent pas toujours à pondre dans le nid, il leur arrive parfois de laisser tomber un œuf dans la poussière ou dans l’herbe, quel que soit l’endroit où elles se trouvent, et sans en prendre autrement souci. Ou s’est livré à beaucoup de conjectures au sujet de ces œufs isolés. Les uns disent qu’ils sont déposés auprès du nid pour servir d’aliment aux jeunes autruches qui pendant leur période d’enfance s’en nourriraient, tout