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« Maintenant, señorito, je pense que vous pouvez passer pour une grue-soldat44. Carrai ! quand je vous regarde, j’ai envie de changer les conditions et de parier mon cheval contre un âne que non seulement les autruches, mais un garzon lui-même ne vous distinguerait pas d’un de ses confrères. Partez et gagnez-nous notre souper.

— Je vous répète, Gaspardo, que je ne vous comprends pas encore. Comment voulez-vous que je fasse ? S’agirait-il, par hasard, d’approcher des autruches pour leur déposer un grain de sel sur la queue ? C’est un genre de chasse où j’ai peu d’expérience, je vous l’avoue. En un mot, votre proposition est-elle sérieuse ou ne l’est-elle pas ? Cette mascarade a-t-elle pour but de vous donner un spectacle faute de pouvoir nous offrir à dîner ?

Santo Dios ! senorito, vous me surprenez ! Quoi, vous êtes du pays, et vous m’adressez de pareilles questions ! N’êtes-vous pas né pour être un gaucho ? Un gringo45 lui-même, ainsi déguisé, comprendrait tout de suite qu’il s’agit d’aller garzoneando ! »

Cypriano jeta un coup d’œil interrogatif sur Ludwig ; mais le jeune savant, secouant la tète, confessa l’impossibilité où il était de le renseigner. Tous les deux étaient également stupéfaits devant la singularité des préparatifs de Gaspardo, leur compagnon.

« Ay de mi ! s’écria ce dernier, en poussant une sorte de soupir. Vraiment, vous ne savez ni l’un ni l’autre dans quel but je me suis donné tant de mal ? Je vais vous le dire, senor Cypriano. Habillé comme vous l’êtes, vous ressemblez exactement à un garzon ; il s’agit de faire votre possible pour agir comme un garzon. D’abord, approchez-vous autant que vous le pourrez des autruches. Prenez avec vous votre fusil ou vos bolas. Les bolas vaudront mieux, car vous les lancez avec beaucoup d’adresse. En cela, je sais que vous n’êtes pas un gringo. Croyez bien que les oiseaux ne se douteront de rien. Voyez-vous là-bas un estero46 tout près duquel ils paissent ? Faites-en le tour, et marchez sur eux dans cette direction. Ils vont vous prendre pour une grue, et ne seront détrompés que lorsque vous en tiendrez un. Maintenant, avez-vous besoin que je vous donne de plus amples instructions ?

— Non, non, dit Cypriano, qui comprenait enfin ; je vois l’affaire, Gaspardo, et je vais tâcher de saisir par la patte un de ces gros poulets. En avant ! »

En disant ces mots, le jeune homme se dirigea vers son recado et y prit ses boliadores. Muni de cette arme, il partit à travers la savane, dans la direction des rhéas.


CHAPITRE XIII
LES AUTRUCHES


« Cáspita ! s’écria le gaucho, quand Cypriano se fut éloigné d’une centaine de mètres, ce gentil garçon ne ressemble-t-il pas complètement à une grue ? Je m’y tromperais moi-même, si je ne connaissais pas ma chemise. »

Ludwig ne répondit pas. Il était profondément attentif aux moindres mouvements de son cousin, qui marchait silencieusement en se dandinant gravement comme un garzon. Le jeune Paraguayen jouait son rôle comme s’il n’avait fait que cela toute sa vie : tantôt il s’avançait résolument, tantôt il s’arrêtait et pointait son long bec vers le sol comme pour y ramasser des limaces, des serpents, des lézards et autres reptiles dont les grues se nourrissent. Il gardait toujours ses bras serrés sous sa chemise, ainsi que les boliadores qu’il se disposait à lancer.