Page:Reid - Aventures de terre et de mer, Hetzel, 1891.djvu/158

Cette page n’a pas encore été corrigée

Ainsi encouragés, les voyageurs continuèrent leur route ; Gaspardo marchait en avant et examinait le terrain avec l’œil d’un habile rastreador40.

Le gaucho, il faut le dire, avait moins de confiance dans ses propres paroles qu’il ne voulait le laisser voir à ses jeunes amis ; il connaissait mieux qu’eux les difficultés de leur entreprise et savait combien le succès de leurs efforts était incertain, mais il importait qu’ils ne se décourageassent pas, et le brave homme tâchait de garder ses doutes pour lui-même sans en rien laisser voir.

Le parti qu’il avait pris de ne point abandonner le lit du fleuve était du reste le seul raisonnable. Tout autre eût été encore plus conjectural.


CHAPITRE XII
LE SAC PERDU


La proposition que fit Gaspardo de camper, bien que le soleil eût encore une heure à rester au-dessus de l’horizon, fut acceptée aussitôt par ses deux compagnons. Cet empressement avait deux causes, la fatigue morale née de leurs incertitudes, et la fatigue physique et d’eux-mêmes et de leurs chevaux après une journée si laborieuse. L’effet produit par les décharges des raies électriques n’était pas si bien dissipé qu’il ne fut pour beaucoup aussi dans le besoin du repos qu’ils éprouvaient. L’impatient Cypriano lui-même n’éleva pas d’objection. Ajoutez qu’ils mouraient de faim. Le déjeuner fait dans la grotte avait été plus que léger et peu fortifiant. Ils étaient donc on ne peut mieux disposés à partager de nouveau un bon repas. Après avoir choisi une place agréable, à la fois jolie et commode, sur la lisière d’une forêt de palmiers, ils sautèrent à bas de leurs selles et commencèrent à débarrasser leurs chevaux de tout ce qui pesait sur eux, pour que les bonnes bêtes dégagées de toute entrave pussent se remettre, elles aussi, de leurs rudes épreuves. Une déconvenue des plus fâcheuses les attendait ; leurs vivres avaient disparu !

Le sac contenant leurs provisions, leur charqui, leur maïs, leur yerba, qu’une mère prévoyante avait fait remplir au moment du départ, n’était plus maintenant en leur possession ! Ce sac était d’ordinaire fixé derrière la selle de Ludwig parce que le jeune homme était le plus léger des trois et que son cheval était très robuste.

Où pouvait-il l’avoir perdu ? telle fut la question qu’ils se posèrent immédiatement les uns aux autres. Tous trois répondirent ensemble :

« Dans le riacho !  ! »

Il n’y avait pas à en douter. Ce sac précieux ne pouvait avoir disparu qu’en cet endroit. Ils se rappelèrent la lutte que le cheval avait eu à soutenir pour échapper aux raies électriques et remonter sur la rive. C’est au milieu de ces efforts que les courroies avaient dit se rompre. Cypriano se souvenait d’avoir vu Ludwig assurer le sac aux provisions au sortir de la caverne. Aucun autre incident de la route n’en pouvait expliquer la chute.

Leurs vivres étaient certainement au fond du ruisseau bourbeux, à la merci des gymnotes et des grues. Aussi, lorsque les trois compagnons eurent dessellé leurs chevaux et qu’ils les virent se jeter avec un très évident plaisir au milieu de l’herbe verte et touffue, ils ne purent se retenir d’envier non pas leur appétit, sur ce sujet ils avaient des points à leur rendre, mais bien le sort qui mettait à la disposition de leurs bêtes une table si bien servie, tandis qu’eux-mêmes n’avaient devant eux que la douloureuse perspective d’aller se