Page:Reid - Aventures de terre et de mer, Hetzel, 1891.djvu/156

Cette page n’a pas encore été corrigée

— Ma foi, muchachos, si on me demandait de faire une description de ces vilaines bêtes, je répondrais qu’elles ne ressemblent à rien. L’animal le plus laid de la création pourrait être vexé de leur être comparé. S’il y a de l’eau en enfer, c’est d’animaux comme ceux-là qu’elle doit y être peuplée.

— Tout cela ne nous apprend pas à quoi ressemble une raie électrique, interrompit Ludwig, auquel l’amour de l’histoire naturelle faisait désirer une description plus précise.

— Non certainement, répliqua le gaucho ; mais ce n’est pas une chose aisée que de décrire un poisson qui n’est peut-être pas un poisson, quoiqu’il passe son temps sous l’eau.

— Quant à être un poisson, c’est un poisson, fit le jeune naturaliste, tout aussi bien que les autres raies ; mais quelle est sa forme, sa couleur, sa dimension ?

— Je puis vous dire cela, señor Ludovico. Prenez une raie ordinaire, longue d’environ une vara38, et faites-la dix fois aussi épaisse sans rien changer à sa longueur, et vous aurez une gymnote. Telles sont du moins sa forme et ses dimensions ordinaires, car vous pouvez par exception en trouver quelques-unes de beaucoup plus longues. Quant à la couleur, elle se rapproche de celle de l’olive parsemée çà et là de quelques taches rouges ou d’un vert jaunâtre, plus brillantes à la gorge et sous le ventre. Leur couleur change suivant leur âge et aussi suivant l’espèce d’eau ou de vase dans laquelle elles vivent. La tête est large, la gueule pleine de dents aiguës, la queue plate, elles ont une paire de nageoires attachées au cou : voilà tout. Si le riacho n’avait pas été aussi boueux, vous auriez pu les voir vous-mêmes, ce qui vaut toujours mieux que de s’en rapporter aux yeux des autres.

— Est-il vrai qu’elles soient bonnes à manger ? demanda le jeune Paraguayenne ne crois pas en avoir jamais goûté.

— Bonnes à manger, muchacho mio ! Ce n’est pas assez dire ; vous ne pouvez pas mettre dans votre bouche un morceau plus exquis. Cependant, avant de les cuire, il est nécessaire de couper la partie spongieuse de leur individu qui, d’après ce que me disait le señor Ludovico votre oncle, leur donne la puissance électrique. Je sais des Indiens qui les préfèrent à tous les autres poissons de nos rivières, et qui font métier de les pêcher pour les vendre ou s’en nourrir.

— De quelle manière peut-on les prendre ? demanda Ludwig.

— Il y a différentes façons, répondit le gaucho. Quelquefois les raies quittent leur vase et viennent à la surface de l’eau comme pour se promener ou s’amuser. Alors le pêcheur peut s’en emparer bien facilement. Comme leur corps est assez gros, il les frappe avec un dard barbelé muni d’une corde, un morceau de cana brava, assez long pour atteindre presque l’autre bord du ruisseau où on les trouve. Il n’est pas difficile de les atteindre, mais ce n’est pas tout. Aussitôt que le pêcheur les a transpercées de son dard qu’il emploie comme on dit que les baleiniers emploient leur harpon, il laisse aller son arme et saisit dans sa partie la plus sèche la corde qui y est attachée. S’il ne prenait pas cette précaution, il serait exposé à recevoir de terribles secousses. Et remarquez bien que c’est seulement quand la corde est mouillée que l’effet se produit. C’est assez curieux, n’est-ce pas, muchachos, qu’une corde mouillée communique la secousse des raies, tandis qu’une corde sèche ne le fait pas ? J’ignore pourquoi, mais cela est.

— Ceci, dit Ludwig, c’est une loi de l’électricité et l’une des plus simples. Mais continuez, Gaspardo.

— Mon jeune maître, je n’en sais guère plus long. J’ai seulement remarqué qu’il y en avait plusieurs espèces, et ce fait n’est pas généralement connu, surtout parmi les gauchos qui ont autre chose à faire que de s’arrêter pour observer de vilaines bêtes. Mais j’ai entendu le señor Ludovico parler de cette différence et il me l’a fait remarquer. Il fit même une chose que je n’aurais jamais crue si je ne l’avais pas vue de mes propres yeux. Voici : nous étions ensemble occupés à ramasser des plantes aquatiques et nous avions pris une de ces gymnotes. C’était une énorme bête, longue presque de deux varas. Il l’étendit sur le sable avant qu’elle fût tout à fait morte, et fixa à sa queue un appareil dont je ne connaissais pas et ne connais pas encore l’usage. Savez-vous le résultat qu’il obtint ? »

Cypriano et Ludwig firent un signe négatif.

« Je vais vous le dire, reprit Gaspardo. Il mit le feu à un petit tas de poudre qu’il avait préparé d’avance. Cette poudre flamba comme si on l’eût touchée avec un charbon ardent, et je savais bien qu’il n’y avait pas de feu près delà, pas même une étincelle. Ce qui enflamma la poudre provenait du corps de la raie. »