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les yeux dans la direction probable de l’estancia, il envoya de la main, à travers l’espace, un baiser à celle qui occupait sa pensée.

« Ma mère, dit-il, ma chère mère, vous seule pourriez comprendre mes hésitations, et les absoudre ! »

Après quoi, frappant sur l’épaule de Gaspardo, qui pendant toute cette conversation était resté plongé dans de profondes réflexions :

« Marchons, dit-il ; marchons en aveugles, s’il le faut.

— Pas précisément en aveugles, señorito ! interrompit le gaucho, pas précisément. Nous avons un guide ; peut-être n’est-il pas des meilleurs ni des plus sûrs, mais enfin, c’est toujours plus et mieux que rien.

— Lequel ? s’empressèrent de demander les deux cousins.

— Le fleuve ! répliqua Gaspardo. Mon avis est que nous pouvons nous y fier encore pendant quelque temps. D’après les traces laissées par les brigands jusqu’au moment où nous les avons perdues, je suis persuadé qu’ils ont longé le Pilcomayo en le remontant. La tormenta a duré une heure, et comme nous, ils se seront arrêtés quelque part. S’ils n’ont pas quitté le bord de l’eau avant le commencement de la tempête, nous allons retomber sur leur piste, que le sol humide, mais non plus détrempé, nous rendra d’autant plus facile à suivre. Si nous la retrouvons, nous prendrons le galop ; et peut-être atteindrons-nous les Indiens avant la nuit. Je suis sûr qu’ils ont passé ici depuis le lever du soleil. Évidemment ils ne se pressaient pas, puisqu’ils avaient relativement peu d’avance sur nous.

— Dieu le veuille, s’écria Cypriano en réponse à l’observation du gaucho. En avant ! » reprit-il avec impétuosité ; et, sans attendre que Gaspardo eût répliqué, il enfonça ses éperons dans le ventre de son cheval et partit le long du fleuve, suivi de près par ses deux compagnons.


CHAPITRE X
ARRÊTÉS PAR UN « RIACHO ». LES GYMNOTES


Les voyageurs se trouvaient à un mille de distance de leur dernière halte quand les hautes berges du Pilcomayo commencèrent à se déprimer, puis à s’abaisser jusqu’à se mettre presque de niveau avec le fleuve. La colline qu’ils avaient jusqu’alors suivie se continuait sur l’autre bord, comme si elle eût été coupée par le courant qui formait en cet endroit une série de rapides contre lesquels l’eau se brisait en bouillonnant et avec un bruit assourdissant.

Les voyageurs n’y prêtèrent pas attention ; ils descendirent la pente et continuèrent à remonter le cours d’eau.

Ils ne tardèrent pas à se heurter contre un obstacle inattendu. C’était une sorte de ruisseau lent, un riacho35 qui débouchait perpendiculairement dans le Pilcomayo ou en sortait, suivant la saison et les caprices de l’inondation. En ce moment il semblait être immobile, parce que la rivière principale, subitement enflée par l’ouragan, arrêtait le courant plus tranquille de son affluent. Ses eaux étaient jaunâtres et comme mêlées de terre et de sable. Le seul moyen d’en savoir la profondeur était d’y entrer à cheval, mais l’expérience était dangereuse.

Il ne fallait pas songer à le tourner pour le franchir au-dessus de sa source, ni à chercher un gué en le remontant. Le riacho était droit comme un canal, et les cavaliers pouvaient le suivre des yeux à travers la plaine sur une étendue de plus de dix milles présentant toujours la même largeur et probablement la même profondeur que sous la tête de leurs, chevaux.