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conduisirent leurs chevaux à l’entrée de la grotte, montèrent en selle, et se remirent à chercher la piste des Tovas.

Ils avaient déjà descendu le cours du ruisseau jusqu’à son embouchure, et avaient gravi la berge du fleuve, sans être encore parvenus à retrouver les traces des cavaliers. L’ouragan de poussière et le déluge de pluie qui l’avait suivi avaient effacé toutes les empreintes, et le gaucho semblait fort préoccupé.

« Maldita ! » s’écria-t-il au moment où tous trois appuyant sur leur bride s’étaient arrêtés comme d’un commun accord, interrogeant alternativement le sol et les regards de leurs compagnons. « Maldita ! pas plus que moi, vous autres, vous n’avez rien vu ?

— Faut-il nous arrêter ? dit Ludwig, qui voyait bien que ses amis, tout comme lui-mème, étaient fort inquiets de la piste perdue ; faut-il vraiment nous arrêter ?

— Nous arrêter ! s’écria Cypriano. Pensez-vous, cousin, à abandonner la poursuite ?

— Non, non ; je ne veux pas dire cela.

— Plutôt que d’abandonner cette poursuite, continua le jeune Paraguayen sans attendre la réponse de Ludwig, je passerais le reste de mes jours à courir dans le Chaco. Je l’ai juré à votre mère, Ludwig : je ne retournerai à l’estancia que pour y ramener votre sœur.

— Je suis aussi résolu que vous, cousin, répondit Ludwig, vous le savez bien ; mais le Chaco est grand, et errer à l’aventure n’aboutirait à rien. S’il n’y a pas lieu de désespérer, il y a lieu du moins de réfléchir.

— Nous savons, reprit Cypriano, que Francesca est avec les Tovas. Ils forment une tribu nombreuse, et une tribu ne se cache pas indéfiniment dans un trou. Les Tovas ne sont pas gens à rester bien longtemps en place. Il y a toujours parmi eux quelque expédition en route. Nous finirons bien par en rencontrer une, et il ne nous en faut pas davantage pour nous remettre sur la voie du groupe principal.

— Hélas ! répondit tristement Ludwig, il peut se passer longtemps avant que nous rencontrions un être humain dans cette affreuse solitude. Que fera ma pauvre mère jusqu’à notre retour ? Je ne puis m’empêcher de songer à elle, qui est seule, si peu de temps après la mort de mon père, et avec sa tombe devant les yeux. Elle va croire que nous sommes perdus aussi. Si nous pouvions du moins lui envoyer quelqu’un pour lui dire que nous sommes tous bien portants ! »

La tête du malheureux jeune homme, en prononçant ces mots, s’inclina sur sa poitrine, et une larme qu’il ne put retenir glissa de sa paupière.

Ludwig adorait sa mère. L’idée qu’en leur absence quelque danger pût la menacer à son tour, le jetait dans une perplexité affreuse. Son cœur avait été si profondément ému par la douleur dans laquelle il l’avait laissée à son départ, qu’il ne pouvait en chasser le souvenir. Le sort même de sa sœur, si affreux qu’il pût être, ne pouvait le tourmenter davantage. C’était une innocente enfant, et personne, pensait-il, pas même un sauvage, ne devait être capable de lui faire du mal. Il se plaisait à croire qu’elle ne courait d’autre danger qu’un prolongement de captivité. Sans doute, elle aussi devait être dévorée de soucis ; elle avait vu de ses propres yeux un spectacle plus horrible encore, s’il était possible, que celui auquel ils avaient assisté ; mais Ludwig, qui ne pouvait rien savoir de la mort de Naraguana, comptait encore fermement que l’amitié que le chef avait toujours eue pour son père serait une sauvegarde pour sa sœur. Dans sa pensée, les auteurs du guet-apens dans lequel avait péri son père, et qui avait eu pour suite l’enlèvement de Francesca, devaient déjà avoir été punis par Naraguana. — Qui sait même si, pendant qu’ils couraient à la recherche de la malheureuse enfant, cet ami fidèle et si souvent éprouvé ne l’avait pas rendue à sa mère ? — Il se jeta dans les bras de Cypriano.

« Cousin, lui dit-il, vous avez été orphelin de si bonne heure, que vous ne savez pas ce que peuvent être pour un fils un père comme le mien, et une mère comme celle que j’ai peut-être eu tort d’abandonner à son désespoir.

— Je sais, Ludwig, répondit Cypriano, tout ce que valait, et pour vous et pour moi, celui que nous avons perdu. Je sais ce que vaut votre mère ; n’a-t-elle pas été une seconde mère pour moi ? Je partage votre angoisse. Je voudrais être, ainsi que vous, tout à la fois à l’estancia pour y pleurer avec ma tante, et au cœur de la tribu des Tovas, pour leur arracher Francesca. Mais entre deux devoirs également impérieux, il faut choisir, et le choix fait, il faut persévérer. Votre mère est entourée de serviteurs fidèles et dévoués ; Francesca est entre les mains des assassins de votre père. Le choix peut-il être douteux ? « 

Ludwig se redressa sur ses étriers, et fixant