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fond de l’antre une faible lueur qui leur permettait d’apercevoir l’affreuse bête couchée dans sa redoutable immobilité. Il semblait qu’avertie par un secret instinct de l’impossibilité où étaient désormais ses victimes de lui échapper, elle eût jusque-là contemplé avec un imperturbable dédain la vanité de leurs efforts.

L’ouragan se calmait. Les grondements du tonnerre s’éloignaient. Le moment approchait où l’animal allait retrouver son habituelle férocité et bondir soit sur les hommes, soit sur leurs montures.

La lutte était donc devenue inévitable. En désespoir de cause, Gaspardo et les deux jeunes gens se tenaient prêts au combat. La carabine à la main, le couteau de chasse entre les dents, Ludwig et Cypriano n’attendaient que l’ordre de faire feu. Gaspardo hésitait encore à le donner ; évidemment, il eût tout préféré à une rencontre où l’un d’entre eux, tout au moins, pouvait perdre la vie ; quand tout à coup, posant bas sa carabine, il se mit à chercher quelque chose avec une fiévreuse impatience dans une des sacoches de son recado.

Il se souvenait d’y avoir caché une fusée du genre de celles dont on se sert pour exciter les taureaux au combat. Il avait pris cette précaution dans la prévision que cela pourrait lui servir, pour étonner et amuser ou terrifier suivant l’occasion les Indiens. C’est un vieux tour des gens des frontières et qui est souvent couronné de succès parmi les sauvages.

« Ne bougez pas, murmura-t-il à l’oreille de ses amis, ne quittez pas la place où vous êtes. Laissez-moi faire. J’ai mou idée. »

Tous deux conservèrent leur place à l’entrée de la caverne, semblables à deux sentinelles silencieuses.


CHAPITRE IX
LE HASARD


Quoique encore sous l’empire d’une grande émotion, Ludwig et Cypriano étaient fort intrigués, et se demandaient du regard ce qui avait bien pu passer dans la cervelle de leur ami.

Les moments étaient trop précieux pour que le gaucho songeât à prolonger leur attente. Il s’avança rapidement vers le cierge que Ludwig avait fixé dans une des anfractuosités de la caverne, — et leur ayant recommandé de se coller contre les parois, — pour laisser libre l’entrée tout entière, il approcha de la flamme du cierge la mèche de sa fusée et la lança sur le jaguar. Ce fut comme une illumination soudaine : la lumière éclatante suivie d’un sifflement aigu s’était élancée comme un serpent de feu sur l’animal, l’avait atteint au flanc et s’était attachée à sa peau en tournoyant comme un soleil et en l’inondant d’étincelles.

C’était évidemment le premier feu d’artifice qu’on eût jamais tiré en son honneur.

Poussant un formidable rugissement qui fit frémir les parois du rocher, l’énorme animal effaré bondit d’épouvante sur sa couche et, en trois bonds, traversant la caverne et traînant derrière lui comme la queue enflammée d’une comète, il alla se précipiter dans le torrent.

C’était assurément ce qu’il avait de mieux à faire pour éteindre la fusée qui sifflait entre les poils de sa fourrure, et pour débarrasser nos voyageurs de sa fâcheuse compagnie.

En un instant, son corps fut hors de vue, enlevé par le courant du ravin débordé. Gaspardo, monté sur le roc où était tout à l’heure le jaguar, criait du fond de la grotte :

« Pour cette fois, muchachos, nous pouvons nous mettre à table ; je suppose que nous ne risquons plus d’être dérangés ! »

Ludwig et Cypriano ne pouvaient revenir