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CHAPITRE VIII
ENTRE UN TIGRE ET UN TORRENT


Gaspardo avait commencé à frapper la pierre, et quelques étincelles scintillaient déjà du milieu de la profonde obscurité, quand un bruit inattendu, au milieu de tous les bruits de la tempête, vint tout à coup frapper ses oreilles et arrêter sa main.

Ses deux compagnons l’avaient entendu comme lui ; les trois chevaux qu’il avait inquiétés aussi bien que leurs trois cavaliers, donnèrent soudain des signes évidents de terreur. Ils se mirent à hennir et à piétiner le sol. Une seconde fois ce bruit frappa ses oreilles, c’était un effrayant rugissement, et il n’y avait pas à s’y tromper, hommes et chevaux l’avaient reconnu en même temps. C’était le rugissement d’un tigre33.

Tout d’abord, ils avaient cru que le terrible animal devait se trouver au fond même de la grotte. Mais quand le cri retentit de nouveau, ils comprirent que le tigre ne devait être qu’à l’entrée et de l’autre côté des ponchos.

L’avantage n’était pourtant pas considérable ; la frêle barrière des manteaux ne les protégerait guère plus qu’une toile d’araignée contre les griffes du féroce animal, s’il était venu, comme c’était probable, chercher un refuge dans la caverne qui leur servait d’asile.

Il ne serait certainement pas arrêté par un simple rempart de couvertures. Étonné d’abord de l’obstacle qui lui barrait l’entrée et dont il ne soupçonnait pas la fragilité, le tigre semblait avoir, pour un instant, reculé.

« Taisons-nous, dit un des deux jeunes gens, la caverne paraît profonde, elle a peut-être quelque issue extérieure. Qui sait si le tigre ne se contentera pas de la traverser ? l’obscurité est telle qu’il peut ne pas nous apercevoir.

— Le jaguareté est un chat. Il voit aussi bien de nuit que de jour, répliqua Gaspardo ; s’il pénètre ici, nous n’avons qu’une ressource, c’est de le combattre et de le tuer. »

Tous les trois, d’un mouvement commun, s’armèrent de leurs fusils et s’assurèrent en outre que leurs pistolets étaient dans leur ceinture.

Le jaguar était encore au dehors, poussant un rugissement sourd comme s’il eut demandé à entrer, et stupéfait évidemment d’être arrêté devant sa demeure habituelle par cet étrange obstacle.

Les tigres, malgré leur férocité, ne manquent pas de prudence. Il était clair que l’ennemi tenait en lui-même une sorte de conseil. Mais la puissance croissante de son cri témoignait que son hésitation ne serait pas de longue durée et qu’il se déciderait bientôt à franchir le rideau. Hommes et chevaux se trouveraient à sa merci si tout d’abord ils ne réussissaient pas à s’en défaire.

Les trois voyageurs s’étaient réunis derrière les ponchos, et côte à côte, les armes à la main, ils firent face à l’endroit d’où l’attaque devait arriver, après avoir fait rapidement passer leurs chevaux derrière eux.

Fallait-il sans plus attendre envoyer une décharge à travers le rideau en visant au juger dans la direction que leur indiquaient les mouvements de leur adversaire ?

Cette suggestion venait de Cypriano ; elle avait été à peine formulée qu’un cri rauque avait retenti comme une sorte de réponse, et une seconde après, les deux cousins roulaient sur le dos jusqu’au fond de la grotte, culbutés l’un sur l’autre par l’élan du formidable animal qui d’un bond s’était jeté sur l’obstacle et avait du même coup renversé deux de ses adversaires. Gaspardo seul était resté debout.

« Par saint Antoine, s’écria-t-il, l’imbécile s’est pris dans nos couvertures. Ne bougez pas