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rable assassin, dit-il à ses deux compagnons, il est un plus grand coupable, à qui remonte la première responsabilité de tous nos malheurs.

— Oui, répondit Ludwig, l’infâme Francia.

— Lui-même, et je ne vivrai jamais tranquille tant qu’il n’aura pas aussi subi le châtiment.

— Dieu se chargera de le lui infliger. Quant à nous, cher cousin, que pouvons-nous contre cet homme ?

— Rien pour le moment, sans doute ; mais plus tard nous verrons. »

De nouveaux incidents vinrent faire diversion à leurs pensées. L’atmosphère, après s’être graduellement assombrie, s’était épaissie presque subitement autour d’eux, au point de faire succéder presque instantanément la nuit au jour.

« Vite, vite ! cria Gaspardo en mettant son cheval au grand galop ; si nous n’atteignons pas la grotte, nous sommes perdus. Courez, si vous tenez à la vie ! »

Les deux jeunes gens lancèrent comme lui leurs chevaux à toute vitesse.

« Nous arrivons à temps ! Grâce, à la mère de Dieu, nous arrivons à temps ! »

Cette exclamation sortit des lèvres de Gaspardo au moment où, suivi de ses jeunes compagnons, il faisait passer son cheval par l’ouverture d’une caverne.

Cette caverne se trouvait dans un rocher à pic, s’élevant au-dessus d’un arroyo31 qui, un peu plus bas, se jetait dans le Pilcomayo. Son entrée donnait sur le bord du ruisseau, à quelque distance seulement de l’eau courante.

« Oui, nous arrivons au bon moment, » ajouta le gaucho en exhalant un soupir de soulagement. « Caramba ! entendez-vous ?… voyez-vous ? Regardez dehors ! »

Il parlait encore, quand un éclat de tonnerre étouffa sa voix. C’était la tempête. C’était la tormenta ! dont les grondements répercutés soudain par les échos du ravin, prirent en un instant une effroyable intensité. Des nuages de poussière tourbillonnaient dans la plaine et semblaient vouloir accourir sur eux.

« Dépêchons, descendez de cheval, » cria Gaspardo à ses deux compagnons, en leur donnant l’exemple. « Prenons nos ponchos, mes enfants, attachons-les ensemble, et si nous ne voulons pas être étouffés dans cet antre, bouchons-en l’entrée le mieux et le plus vite que nous pourrons. »

Les jeunes gens n’avaient pas besoin d’être mis en demeure de ne pas perdre un instant. Ce n’était pas la première fois qu’ils assistaient à une tormenta ; chez eux, à Asuncion, ils en avaient vu plus d’une et en avaient remarqué les terribles effets. Ils avaient entendu les cailloux brisant les fenêtres, faisant trembler les portes sur leurs gonds ; ils avaient vu la poussière passer à travers les fentes et les trous des serrures comme l’haleine furieuse de l’ouragan. Ils avaient vu les arbres déracinés, brisés comme paille, les bêtes et les gens culbutés, roulés à terre par son irrésistible violence. Aussi, avant que le gaucho eût pu prononcer un autre mot, ils étaient sur pied et l’aidaient à disposer à l’intérieur leurs chevaux, pour qu’ils fussent un premier obstacle et à fermer l’ouverture de la caverne, à l’aide de leurs ponchos, solidement liés ensemble et fixés dans les interstices des rochers au moyen de leurs couteaux. Ils furent à moitié aveuglés par la poussière et presque renversés par le vent avant d’avoir pu terminer cette opération.

« Maintenant, dit Gaspardo, dès qu’ils eurent achevé leur besogne, nous pouvons nous regarder comme en sûreté, et je ne vois pas de raison pour ne pas nous installer dans ce trou aussi confortablement que le permettent les circonstances. Nous serons peut-être retenus longtemps ici, trois ou quatre heures, sinon toute la nuit. Quant à moi, je suis affamé comme un gallinazo33. Cette rude course m’a fait oublier mon déjeuner, de sorte que je propose d’achever ce qui nous reste du guariba rôti. La salle à manger est sombre, et nous aurons peine à faire bouillir notre théière. Cependant j’espère pouvoir faire assez de lumière pour éclairer notre repas. »

En prononçant ces mots, le gaucho se dirigea vers son cheval, et, fouillant un moment sous son recado, il réussit à trouver un briquet.