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proposèrent de galoper en arrière pour aller chercher l’abri des arbres ; mais il était trop tard pour penser à la fuite ; avant qu’ils eussent accompli cette course de dix milles, la tourmente les eût atteints.

Le vaqueano le savait, et il proposa d’agir tout différemment.

« Descendez de vos chevaux, cria-t-il, et tenez-les entre vous et le vent. Couvrez vos têtes avec vos jergas23. Faites-le si vous ne voulez pas être aveuglés pour toujours. Vite, ou il ne serait plus temps ! »

Les jeunes Indiens, connaissant l’expérience de leur compagnon au visage pâle, se hâtèrent d’obéir. En un instant, chacun d’eux, bien entortillé d’après les recommandations du guide, s’était caché derrière son cheval en s’efforçant de maintenir l’animal pour l’empêcher de perdre position.

Le chef lui-même s’était chargé de placer sa captive sous le vent et la dernière de tous. D’un geste vif, mais cependant respectueux, il l’avait enlevée de son cheval et couchée sur le sol, en lui disant dans son langage qu’elle comprenait : « Ne bougez pas, ne remuez pas, tournez votre visage contre la terre et ne craignez rien : ceci vous protégera. »

Tout en parlant, il avait ôté de dessus ses épaules son manteau de plumes ; il en tourna l’extérieur en dedans et l’étendit sur la tête et les épaules de la jeune fille.

Francesca s’était soumise machinalement à la volonté de son ravisseur ; mais elle n’avait pu réprimer un frémissement de dégoût en se sentant dans les bras du misérable qui avait laissé accomplir et peut-être ordonné le meurtre de son père.

Ces précautions étaient à peine prises que l’ouragan éclatait dans toute sa furie et culbutait ceux des chevaux qui avaient refusé de s’accroupir.

L’avis du vaqueano à ses hommes de couvrir leurs yeux n’était pas superflu. Eu effet, la tormenta ne soulève pas seulement de la poussière, elle roule dans les airs, elle emporte avec elle jusqu’à du gravier et des pierres.

En outre, cet embrun solide, mêlé de particules salines, est tellement subtil et pénétrant qu’il produit tout à la fois la cécité et la suffocation.

L’ouragan augmenta de violence pendant une heure ; lèvent rugissait aux oreilles des voyageurs et le sable leur déchirait la peau.

Parfois son souffle était tel qu’il était impossible aux gens de se maintenir à terre, même en s’y cramponnant avec les ongles ; au-dessus et autour d’eux brillaient et s’entre-croisaient sans interruption les éclairs ; l’atmosphère était en feu, et le tonnerre grondait, tantôt en détonations courtes et rapides, tantôt en décharges mêlées de hurlements prolongés.

Puis arrivèrent des torrents d’une pluie froide comme si elle eût traversé les sommets neigeux des Cordillères.

Au bout d’une autre demi-heure, le nuage sombre avait disparu, le vent s’était apaisé aussi rapidement qu’il s’était levé : la tormenta était passée !

Le soleil brilla bientôt dans un ciel de saphir, aussi serein que s’il n’avait jamais été intercepté par l’ouragan.

Les jeunes Tovas, dont les corps ruisselaient d’eau, et dont beaucoup d’entre eux étaient meurtris et ensanglantés, se relevèrent. Avec l’insouciance de leur race, ils furent bientôt debout, se secouant, s’étirant à qui mieux mieux, visitant chacun des membres de leurs chevaux pour savoir s’ils étaient en état de reprendre leur course. — À un signal de leur chef, ils jetèrent leurs jergas sur le dos de leurs montures, et se tinrent prêts à recevoir l’ordre de se mettre en marche.

Francesca s’était tenue immobile et comme insensible à tout sous le manteau du jeune chef. Quand il vint à elle pour reprendre possession de cet insigne de sa grandeur, il n’obtint pas d’elle un regard. Ayant, avec l’aide d’un de ses hommes, fait mine de vouloir la replacer i sur sa selle, d’un geste plein de dédain, elle l’écarta, et légère comme un oiseau elle se retrouva à cheval. Un cri d’admiration échappa à toute cette horde : elle était à leurs yeux digne d’être leur reine, celle sur laquelle l’effroyable tourmente avait pu passer comme sans la toucher.

Cependant tout était prêt, et ses ravisseurs, sautant sur leurs montures, poursuivirent leur route à travers la plaine balayée par les eaux, et continuèrent leur marche vers la tolderia de leur tribu, dans le même ordre de marche qu’auparavant. Abandonnons-les.

Bien loin de là, sur la berge d’une rivière, se dresse un bivouac ; un feu de campement brille gaiement, trois hommes sont assis autour de lui.

Ces hommes viennent de passer la nuit en