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CHAPITRE VI
LA TORMENTA


Rien absolument n’apparaissait. Le soleil achevant sa carrière brillait dans un ciel sans nuage et projetait en noires silhouettes sur la plaine blanche les ombres des chevaux et des cavaliers. Aussi loin que pouvait porter la vue on n’apercevait aucun être vivant, pas même un oiseau traversant ce triste désert.

Mais, bien qu’aucun nuage ne se détachât sur la voûte bleue de l’atmosphère, on pouvait cependant, à force d’attention, découvrir une légère vapeur débordant l’horizon lointain, directement en face des cavaliers.

Elle était à peine perceptible, toutefois l’œil exercé du vaqueano l’avait remarquée et y avait lu l’approche d’un danger.

« Qu’est-ce donc ? demanda le jeune chef en poussant son cheval auprès de celui du vaqueano.

— Caramba ! ne le voyez-vous pas ? repartit l’Espagnol en montrant l’horizon.

— Je vois un petit nuage ; rien de plus.

— Rien de plus ?

— Non. On dirait plutôt de la fumée, mais ce ne peut être cela ; il n’y a pas un brin d’herbe à dix milles à la ronde dont on puisse faire du feu. Du reste, que pourrions-nous craindre ici, ne sommes-nous pas chez nous ?

— Ce n’est ni de la fumée, ni du feu ; c’est bien pis, c’est de la poussière.

— De la poussière ! mais alors elle ne pourrait provenir que du galop d’une troupe de cavaliers ?

— Nous n’avons rien à redouter de ce genre ; des hommes ? un ennemi ? Allons donc ! Aussi n’est-ce de rien de pareil qu’il s’agit. Si ce n’était que cela, nous pourrions nous mettre à l’abri d’une attaque en retournant vers les bois. Mais cette poussière n’est produite ni par des hommes ni par des chevaux. Si mes yeux ne me trompent pas, c’est la tormenta.

— La tormenta ! répétèrent d’une seule voix tous les Indiens et d’un ton qui dénotait qu’ils ne connaissaient que trop bien le terrible phénomène.

— Oui ! s’écria le vaqueano après avoir examiné le nuage encore pendant quelques secondes. C’est bien la tormenta et pas autre cbose. Malédiction ! »

Déjà l’ombre s’était sensiblement étendue le long de l’horizon et elle grandissait rapidement sur le fond bleu du ciel. Elle présentait une couleur d’un brun jaunâtre semblable à un mélange de vapeur et de fumée tel que celui qui provient des flammes à demi éteintes d’un incendie. Parfois des traits de lumière indiquaient qu’elle était sillonnée d’éclairs.

Cependant, à l’endroit où les sauvages s’étaient arrêtés, le soleil brillait encore avec sérénité, et l’air calme et tranquille n’était pas agité du moindre souffle.

Mais ce calme n’était pas sincère ; il était accompagné d’une chaleur lourde et étouffante dont plusieurs d’entre les Indiens s’étaient plaints quelques instants auparavant. Ils venaient à peine de cesser de parler, chacun des hommes de la troupe avait à peine eu le temps de se rendre compte du péril qui les menaçait, et déjà, en moins de temps qu’il ne faut pour le dire, de violentes rafales d’un vent glacé avaient fondu sur eux avec une telle fureur, que quelques-uns des jeunes gens, perdant tout à coup l’équilibre, avaient roulé à terre, précipités par cette force invisible.

Bientôt, à la clarté radieuse du jour succéda, sans transition, une épaisse obscurité, comparable à celle de la nuit, et ils s’en trouvèrent comme enveloppés. Le nuage de poussière avait passé devant le disque du soleil, et l’avait complètement éclipsé.

Remis de ce premier assaut, quelques-uns