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emparé de la bride et ne lui permettait plus de le guider.

La cavalcade s’avançait lentement, elle n’avait pas besoin de se hâter, car une poursuite n’était pas à craindre. Ceux qui avaient commis cette cruelle action savaient bien qu’il n’y avait pour eux aucun danger de représailles qu’ils pussent sérieusement redouter.

De temps à autre, l’un des cavaliers de la troupe se dressait sur son cheval et examinait pendant un moment la plaine. Mais cette action ne provenait pas de la crainte d’une poursuite, c’était simplement la satisfaction d’une curiosité.

Cependant une sorte d’inquiétude existait au fond des cœurs de ces sauvages ou tout au moins chez leur chef, ainsi que le prouvait le dialogue échangé entre lui et l’homme blanc qui chevauchait à ses côtés. Il se bornait à quelques mots prononcés d’un ton de doute, et dans le regard de l’Indien on eut pu découvrir le regret de l’acte qui venait de s’accomplir.

Les réponses du farouche renégat qui non seulement l’avait conseillé, mais qui l’avait exécuté, semblaient avoir pour but de le rassurer. Fataliste comme tous les Indiens, le jeune chef se contenta de répondre aux dernières paroles du misérable qui raillait ses scrupules : « Ce qui est fait, est fait, » et il poursuivait sa route sans arrêter plus longtemps sa pensée sur le remords ou sur le repentir.

La conversation entre les deux sauvages qui formaient l’arrière-garde fera mieux comprendre le sujet de l’inquiétude du chef.

Ils venaient de parler, avec une admiration mêlée de pitié, de la beauté de leur captive et des liens d’amitié qui avaient existé entre leur vieux chef et Halberger.

« Nous pourrions bien avoir à regretter ce que nous avons fait, suggéra le plus sage des deux.

— Quel regret ? demanda son compagnon. Le père du jeune chef n’est-il pas mort ?

— Si Naraguana vivait encore, il n’aurait jamais permis cela.

— Naraguana ne vit plus.

— C’est vrai. Mais son fils Aguara n’est qu’un jeune homme encore comme nous-mêmes. Il n’a pas encore été élu chef de notre tribu. Les anciens peuvent être mécontents ; quelques-uns d’entre eux, comme Naraguana, étaient les amis de celui qui a êté tué. Qui sait si nous ne serons pas punis pour cette expédition ?

— Ne crains rien, le parti de notre jeune cbef est le plus puissant, et de plus ce vaqueano21 là-bas, fit le sauvage en désignant le renégat, prendra toute l’affaire sur lui. Il a déclaré qu’il affirmerait que c’est une querelle qui le regarde seul. Il soutient que le Visage pâle qui ramassait des plantes a eu des torts envers lui. Qui sait si cela n’est pas vrai ? Tu sais aussi bien que moi que le vaqueano possède une grande influence dans notre tribu ; Aguara s’en tirera sain et sauf.

— Espérons-le, répliqua l’autre. Et si cette jolie créature doit un jour être notre reine, ce ne seront pas les guerriers de la tribu qui s’en plaindront, mais en revanche les jeunes filles Tovas ne seront pas contentes ! »

La conversation fut interrompue par un cri venant de l’avant-garde : c’était un cri d’alarme, et un moment après, chaque Tovas, dressé sur son cheval, interrogeait d’un regard inquiet les confins de la plaine.

La jeune fille seule resta immobile sur sa selle ; on sentait que dans sa pensée rien ne pouvait ajouter aux horreurs de sa situation ; elle était indifférente à de nouveaux coups du sort.

La cavalcade parcourait alors un espace dépouillé d’arbres, l’une des quelques traviesas ou terrains stériles qu’on rencontre dans le Chaco. Cette stérilité ne provient pas de la mauvaise qualité du sol, mais du manque d’eau. Ces espaces sont pendant une partie de l’année inondés par les débordements des rivières voisines ; mais, l’été venu, ils se dessèchent et se pulvérisent sous les rayons d’un soleil torride et montrant sur leur face un enduit d’un blanc grisâtre ressemblant à la gelée blanche et qui est le produit d’une efflorescence saline amenée par l’évaporation des eaux22.

Les voyageurs étaient entrés dans ce désert pour éviter le détour causé par un crochet du fleuve. Quand retentit le cri d’alarme, ils se trouvaient à environ dix milles du cours d’eau et à peu près à la même distance du bois le plus proche. Ce cri avait été poussé par le renégat qui marchait en avant et qui aussitôt arrêta son cheval et se dressa sur ses étriers.