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Indiens du Chaco n’ont même pas besoin de protéger leurs pieds, car il est rare qu’ils foulent le sol. Leur véritable demeure est sur le dos de leurs chevaux.

De chaque côté de leurs selles, leurs jambes nues pendaient, unies comme du bronze moulé et sculptées comme par le ciseau de Praxitèle ; la portion supérieure de leurs corps était également nue, mais, contrairement à l’usage de leurs frères du nord, ces Indiens n’étaient ni tatoués ni peints. L’éclat d’une peau saine et d’une riche couleur foncée, quelques coquillages ou des bracelets de graines autour de leurs cous ou de leurs bras constituaient leurs seuls ornements.

Leur chevelure noire comme l’ébène, coupée carrément sur le front, croissait par derrière en toute liberté et couvrait leurs épaules de ses flots abondants ; chez quelques-uns, elle retombait jusque sur la croupe du cheval !

Deux étaient habillés d’une manière différente des autres, les deux cavaliers montés sur des recados.

Le premier était un jeune Indien, évidemment le chef de la troupe. Il avait une sorte de ceinture autour des reins, mais par-dessus et flottant négligemment sur ses épaules, il portait un manteau de forme analogue à un poncho, bien différent toutefois du vêtement de laine des gauchos. C’était la manta en plumes des Indiens, faite d’une peau de daim préparée et admirablement ornée avec le plumage du guacamaya20 et d’autres oiseaux aux ailes brillantes.

Sur sa tête, il portait un bonnet en forme de casque, fabriqué avec une peau de cheval tannée, d’une blancheur de neige et entouré d’une rangée de plumes de rhéa, plantées verticalement dans un cercle brillant. D’autres ornements placés sur son corps et autour de ses membres, et le harnachement de son cheval, le désignaient clairement comme le premier personnage de la troupe. Il n’avait avec lui que des jeunes gens, mais lui aussi était un jeune homme et bien certainement il n’était pas l’aîné de ses compagnons.

Le seul homme blanc qui se trouvait parmi ceux-ci et dont nous avons dit qu’il avait l’air d’un Castillan, offrait à l’œil un type véritablement remarquable. — Sur ses traits se lisait une expression de férocité mélangée de ruse qu’on retrouvait d’ailleurs sur la figure du jeune chef qui chevauchait à côté de lui.

Son vêtement était mi-partie celui d’un civilisé et celui d’un Indien, et on pouvait le prendre lui-même pour un gaucho fait prisonnier par les sauvages. Mais telle n’était pas évidemment la situation de cet homme, car il marchait à la place d’honneur, à la droite du chef. Tout au contraire, son air et ses actions racontaient une autre histoire, celle d’un scélérat qui, après avoir suivi une carrière de crimes dans les pays civilisés, avait cherché la protection des sauvages et était devenu traître à sa race et aux siens.

La longue lance qui dépassait de beaucoup ses épaules montrait sur sa pointe d’acier une teinte plus rouge que celle de la rouille. C’était la couleur vermeille du sang, séchée et brunie par les rayons du soleil, et toutefois encore assez fraîche pour dénoter que l’arme avait été récemment employée. C’était cette même lance qui avait percé la poitrine de Ludwig Halberger.

Si un doute s’était élevé à cet égard, il eût été bientôt dissipé par la présence d’une troisième personne qui s’avancait un peu en arrière et qui évidemment était gardée comme une captive. C’était une jeune fille à laquelle on eut pu donner quinze ans, bien qu’elle n’en eût que quatorze. Elle possédait déjà dans toute son attitude certaines grâces de la femme, ainsi que cela arrive fréquemment dans l’Amérique espagnole où l’adolescence commence plus tôt que dans nos froids climats : un visage d’un ovale délicat, une bouche mignonne ombrée déjà d’un léger duvet, des yeux ornés de longs cils avec de fins sourcils arqués, un teint olivâtre et ces formes élégantes dont les dames andalouses sont si fières : telle était Francesca Halberger, la fille du naturaliste.

L’impression suprême de tristesse répandue sur sa figure ne parvenait pas à en altérer la beauté. Il est du reste à remarquer que le regard d’une femme espagnole n’est jamais plus noble et plus fier que lorsqu’elle est en face d’un danger.

La prisonnière venait de voir son père traîtreusement frappé par la lance d’un assassin, son dernier cri : « ma fille ! ma pauvre enfant ! » retentissait encore à ses oreilles ; avant même d’avoir pu se rendre compte du danger qu’elle courait, elle avait été saisie et mise hors d’état d’opposer la fuite à la violence par la horde de ses agresseurs et s’était sentie entraînée vers un but qu’elle ignorait. Elle montait encore le petit cheval sur lequel elle avait quitté sa demeure, mais un des cavaliers indiens s’était