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qui l’avaient envahie à l’idée de la captivité de sa fille.

« Oh ! mère, ne dites pas cela, cria Ludwig en jetant ses bras autour du cou de la señora, Il n’existe pas au monde d’être assez misérable pour faire du mal à une créature aussi innocente que ma sœur Francesca ! Nous irons à sa recherche, nous remuerons ciel et terre, ma mère, et nous la retrouverons ! »

Cypriano s’approcha de sa tante, et pliant le genou devant elle : « C’est moi seul que ce soin regarde, lui dit-il. Je jure, ma tante bien-aimée, de ramener ici l’ange qui nous a été ravi. J’accomplirai cette tâche ou j’y périrai ! »

Et se tournant vers son cousin : « Ami, lui dit-il, ton devoir à toi est de ne pas quitter ta mère.

— Mais, répliqua Ludwig les larmes aux yeux, mon devoir est aussi d’aller au secours de ma sœur. Que faire, mon Dieu ?

— Te fier à moi et à Gaspardo. Gaspardo, tu le connais ! Nous la délivrerons avec l’aide de Dieu et nous la ramènerons, je te le jure à toi aussi. »

Le ton ferme et vibrant de la voix du jeune Paraguayen qui contrastait avec la gravité de son attitude, montrait assez qu’il ne reculerait devant rien pour accomplir son serment.

Quand les premières violences de cette douleur eurent fait place à un état plus calme, Gaspardo parvint à entraîner la malheureuse femme loin du corps de son mari. Elle alla pleurer dans une chambre écartée, suivie seulement par une Indienne, une jeune fille dévouée, qui avait accompagné ses maîtres au moment où ils avaient fui le territoire du dictateur.

Pendant ce temps, le gaucho, aidé par les péons indiens et toujours fidèle à la mémoire de son maître, disposa ses restes d’une manière convenable pour les ensevelir, tandis que le fils maintenant orphelin et son cousin Cypriano discutaient ensemble les meilleurs moyens à employer pour assurer le succès de l’entreprise qu’on allait tenter.

Malgré toute leur douleur, ils ne pouvaient s’empêcher de penser à Francesca ; l’horreur qui les avaient saisis l’un et l’autre à la vue du corps inanimé d’Halberger, de leur père, de leur meilleur ami, loin de les plonger dans le désespoir, n’avait eu pour effet que de surexciter leur énergie.

Ils n’étaient que des enfants. Ils avaient vécu au milieu des tendresses de leurs parents, mais la pensée des devoirs qui leur restaient à accomplir, des luttes qu’ils allaient avoir à soutenir, des difficultés qu’ils rencontreraient sur leur route, les avait en un instant grandis et transformés.

La douleur et la nécessité avaient fait d’eux subitement des hommes aussi capables de penser que d’agir ; l’un et l’autre étaient prêts à marcher en avant et à sacrifier leur vie pour accomplir la tâche sacrée qui leur incombait.

Après avoir préparé son œuvre funèbre, Gaspardo vint les retrouver, et à eux trois ils tinrent une sorte de conseil. Ils examinèrent et discutèrent toutes les circonstances qui avaient amené et entouré le meurtre d’Halberger.

Le crime avait été accompli par des Indiens. Le gaucho n’avait aucun doute touchant ce fait qu’il avait pu lire écrit sur le terrain parcouru par les empreintes des chevaux. Cependant l’idée leur vint aussi qu’il n’était pas impossible que les soldats du dictateur l’eussent exécuté. En effet, bien qu’éloignés de la présence du despote, le naturaliste et sa famille ne s’étaient jamais sentis hors de la portée des entreprises de cet homme redoutable. La migration du chef Tovas les avait d’ailleurs en quelque sorte laissés sans protection. Francia pouvait en avoir été instruit et avoir envoyé une troupe de ses cuarteleros pour assouvir cette lâche vengeance.

Cependant, sans nier que le dictateur fût bien capable de cette cruauté, Gaspardo ne la lui attribuait pas. Si les traces des chevaux eussent appartenu à des cuarteleros, leurs bêtes ou au moins quelques-unes d’entre elles eussent été ferrées. Il avait suivi leurs traces pendant une distance considérable, jusqu’au moment où il avait reconnu l’impossibilité de pousser plus loin ; il les avait examinées avec le plus grand soin, et il n’avait pas trouvé, à l’exception d’une seule dont la vue le fit tressaillir, les empreintes de fers qu’eussent laissées les cavaliers de Francia. Il était donc sûr que les assassins étaient Indiens et que Francesca avait été emportée par eux vivante L’unique empreinte de fers qu’il eût découverte était évidemment celle du poney sur lequel était partie Francesca.

Quels Indiens avaient commis le crime ? Ils ne connaissaient que les Tovas, mais il en existait d’autres. Ce ne pouvait pas être des Tovas, dont le vieux et vénérable chef avait été souvent leur hôte et toujours leur protecteur. Une