Page:Reid - Aventures de terre et de mer, Hetzel, 1891.djvu/127

Cette page n’a pas encore été corrigée

de ses chers enfants, des serviteurs fidèles qui avaient suivi sa fortune. Parmi ces derniers figurait en première ligne le bon Gaspardo, son aide intelligent pendant ses recherches et le constant compagnon de ses excursions.

On l’a compris, le cavalier qui revenait froid et inanimé sur sa selle était Ludwig Halberger ; c’était lui que Gaspardo ramenait à sa femme et à son fils désespérés.


CHAPITRE IV
UNE MAISON DE DEUIL


Il se passa un certain temps avant que la malheureuse femme sortit de son évanouissement.

Quand elle reprit connaissance, elle aperçut un affreux spectacle : le corps de son mari était étendu sur un lit ; son beau visage avait le calme et la sérénité de la mort, mais le drap qui recouvrait sa poitrine était rougi par le sang jailli de la blessure que lui avait faite le coup de lance qui lui avait ôté la vie.

Gaspardo, aidé des serviteurs, avait défait les liens qui attachaient à la selle le corps raidi et l’avait porté dans l’intérieur de la maison.

Le gaucho fit alors à la senora le récit de sa mission, mais ce récit n’ajouta pas beaucoup à ses angoisses. Le spectacle horrible qu’elle avait devant les yeux avait tout brisé en elle, elle écoutait comme une personne dont rien ne peut accroître la douleur.

Gaspardo avait rapidement trouvé la piste des absents, il l’avait suivie jusqu’à un bouquet d’algarrobas qui s’élevait sur la berge du fleuve. Là il avait rencontré avec horreur le cadavre de son maître, traîtreusement assassiné. Son cheval, qui, pour une raison quelconque, avait échappé à la cupidité des meurtriers, se tenait auprès du corps de son maître, comme s’il eut espéré le voir se dresser sur ses pieds et remonter en selle !

Près du cadavre, était aussi un bouquet de magnifiques fleurs. Gaspardo vit sur un arbre voisin la branche dépouillée d’où elles avaient été cueillies, et cet indice lui avait prouvé que le naturaliste était engagé dans ses occupations favorites au moment où il avait reçu le coup mortel !

Aucun autre signe ne marquait l’endroit, sauf les traces du cheval d’Halberger et celles de l’animal plus petit monté par sa fille.

Cependant, en suivant ces dernières, Gaspardo rencontra bientôt d’autres empreintes qui indiquaient qu’une troupe de cavaliers avait dû faire halte près du bois.

Cachés par les algarrobas, les assassins avaient sans doute suivi à pied leur victime, ils s’étaient précipités sur elle et l’avaient certainement frappée à l’improviste avant même qu’elle eût pu soupçonner leur présence. Telle était du moins l’opinion du gaucho.

« Et mon enfant ? s’écria l’infortunée mère en interrompant ces tristes détails. Francesca est-elle morte, elle aussi ?

— Non, non, senora ! répliqua aussitôt Gaspardo. Je suis persuadé que ce cher ange est encore vivant. Santissima ! Les sauvages du Chaco eux-mêmes n’auraient pas eu le cœur de la mettre à mort. S’ils l’avaient tuée, il y en aurait quelque trace, et je suis sur de n’en avoir vu aucune ; pas un lambeau de vêtement, pas une seule marque de lutte n’a pu être découverte par moi. Vous voyez par ce qui est arrivé pour le père qu’ils n’auraient pas pris la peine d’emporter le cadavre de la fille. Non, senora, elle ne peut être que vivante.

— Je l’aimerai mieux… morte ! » s’écria tout à coup la mère infortunée.

En prononçant ce mot, le visage de la pauvre mère refléta l’expression des terreurs affreuses