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résidence sur les bords du Parana, non sur le territoire du Paraguay, mais sur celui de la confédération Argentine, sur l’autre rive du fleuve.

Là, dans sa modeste retraite, tout en poursuivant ses études d’histoire naturelle, il s’occupa plus particulièrement à cultiver l’herbe du Paraguay, la yerba, qui sert à composer le breuvage si connu sous le nom de maté 12.

Son caractère bien connu attira bientôt auprès de lui une colonie de paisibles Indiens Guaranis qui, se soumettant à sa douce autorité, l’aidèrent à installer une immense « Yerbale » ou plantation de thé. L’affaire allait devenir profitable et le savant se trouvait, sans l’avoir prévu, sur le grand chemin de la fortune.

Mais le récit de sa prospérité parvint aux oreilles de Gaspar Francia, dictateur du Paraguay. Cet homme, parmi d’autres théories despotiques, professait l’étrange doctrine que la culture de la « yerba » était un droit appartenant exclusivement à son pays, c’est-à-dire à lui-même !

Pendant une nuit obscure, quatre cents de ses soldats traversèrent le Parana, attaquèrent la plantation de Bonpland, massacrèrent une partie de ses « péons 13 » et emmenèrent le colon prisonnier au Paraguay.

Le gouvernement argentin, affaibli par ses dissensions intestines, se soumit à l’insulte. Bonpland, qui n’était qu’un Français et un étranger, resta pendant neuf longues années prisonnier au Paraguay. Ni un chargé d’affaires anglais, ni un commissaire envoyé par l’Institut de France, ne purent réussir à lui faire rendre la liberté.

Il est vrai qu’il ne fut d’abord prisonnier que sur parole et qu’on le laissait vivre sans le molester, parce que Francia lui-même tirait profit de ses admirables connaissances et de sa sagesse.

Mais, au lieu d’apaiser le tyran, les succès d’Amédée de Bonpland ne firent que hâter sa ruine. Le respect universel dont l’entouraient les Paraguayens excita l’envie du despote. Une nuit, il fut saisi à l’improviste, dépouillé de ce qu’il possédait, sauf des vêtements qu’il portait, et chassé du pays !

Il s’établit près de Corrientes, où hors de l’atteinte du tyran il recommença sans se décourager ses travaux d’agriculture. C’est là qu’auprès d’une femme née dans l’Amérique du Sud, et entouré de ses nombreux et heureux enfants, il termina, âgé de plus de quatre-vingts ans, sa vie utile et sans tache.

Si j’ai introduit ici cette légère esquisse, c’est parce que la vie d’Amédée de Bonpland ressemble sous quelques rapports à celle de Ludwig Halberger, dont nous écrivons l’histoire.

Ce nom d’Halberger semble indiquer une origine germanique. La vérité est que Ludwig Halberger était de race alsacienne et Pensylvanien de naissance, car il avait reçu le jour à Philadelphie.

Comme Bonpland, c’était un amant passionné de la nature ; comme le savant français, il était allé dans l’Amérique du Sud pour y trouver un champ plus vaste, ou tout au moins un pays plus neuf, où il put se livrer à ses goûts pour les sciences naturelles.

Vers l’année 18.., il s’établit dans la capitale du Paraguay, qui devint alors le centre de ses études et de son activité. Asuncion étant comme sa base d’opérations, il se rendait souvent dans la contrée environnante, surtout dans le Gran Chaco. Il était assuré d’y trouver des espèces curieuses, tant du règne végétal que du règne animal, et non encore décrites, parce que là toute recherche était accompagnée d’un danger.

Ce danger était un attrait de plus pour lui. Avec le courage d’un lion, le simple naturaliste avait l’habitude d’explorer la solitude à une distance où pas un seul des cuarteleros 14 de Francia n’eût osé montrer le bout de son nez !

Tandis que le fils de la Pensylvanie était ainsi occupé à découvrir les secrets de la nature, le besoin d’aimer et de se constituer une famille naquit dans son cœur. Il se maria avec une jeune et belle Paraguayenne dont les qualités devaient être pour lui des gages de bonheur.

Pendant dix ans, ils vécurent heureux en effet ; un beau et charmant garçon et une fille d’une rare beauté, image de sa mère, vinrent après quelques années embellir de leurs jeux et de leur gai babil la demeure du chasseur naturaliste. Plus tard, la famille s’augmenta par la présence d’un jeune orphelin, Cypriano, qui appelait les enfants ses cousins.

L’habitation d’Halberger, située à environ un mille de la ville d’Asuncion, était fort belle. Un y trouvait tout ce qui peut rendre la vie agréable, car le naturaliste avait com-