Page:Reid - Aventures de terre et de mer, Hetzel, 1891.djvu/120

Cette page n’a pas encore été corrigée

du sol, les sauvages Indiens Chaco qui avaient juré haine à mort aux Visages-Pâles depuis le jour où la quille de leurs canots avait sillonné pour la première fois les eaux du Parana.

S’il reste encore quelques doutes au sujet des habitants de cette demeure solitaire, ils s’évanouiront à la vue des trois personnes qui en sortent et prennent place sous la véranda. L’une d’elles est une femme ; son aspect, sa tournure sont d’une personne distinguée. Son âge ne dépasse pas la trentaine. Bien que son teint ait la nuance olivâtre de la race hispano-mauresque, son sang est évidemment celui de la pure race caucasienne. Elle a été et est encore une très belle personne. Son attitude, l’expression de ses grands yeux à demi baissés prouvent qu’elle a connu les pensées graves et l’inquiétude. Ce dernier sentiment semble surtout exister aujourd’hui en elle, son front est chargé de nuages ; elle s’avance jusqu’à la balustrade de la véranda et s’y tient immobile. Son regard interroge avec une poignante fixité la plaine qui s’étend bien au delà des limites de l’habitation.

Les deux autres habitants sont des adolescents, tous deux presque du même âge. L’un a quinze ans, l’autre a dépassé seize ans. Leur taille et leur complexion sont légèrement différentes. Le plus jeune est plus mince, son teint serait d’une blancheur parfaite si le soleil ne l’avait hâlé ; ses cheveux de couleur claire tombent en boucles sur ses joues et les traits de son visage font voir qu’il descend d’une race septentrionale.

Quant à l’autre, bien qu’il soit un peu plus grand de taille, il semble plus robuste : tout dit en lui qu’il est plein de force, d’activité et de vigueur. Son teint est presque aussi foncé que celui d’un Indien, et ses épais cheveux noirs, lorsqu’ils sont frappés par les rayons du soleil, offrent un chatoiement semblable à celui de l’aile d’un corbeau. Cependant il est de sang blanc, de ce sang dont se prétendent issus la plupart des Américains Espagnols, ce qui est plus que douteux pour les Paraguayens. Le jeune homme est un Paraguayen ; sa tante, la belle et charmante femme que nous venons de voir s’appuyer sur la balustrade de la véranda, est une Paraguayenne. Tout dans son allure montre qu’elle est la maîtresse du logis.

L’adolescent aux cheveux châtain doré lui donne le titre de mère, et cela semblerait étrange à cause de son teint, mais l’explication deviendrait facile si on pouvait le voir à côté de son père, malheureusement absent pour le moment. C’est l’absence de son mari, c’est celle aussi d’une autre personne également chère, qui amènent le nuage que nous avons noté sur le front de la jeune femme.

« Ay de mi ! murmura-t-elle, le regard toujours fixé sur la plaine, qui peut les retarder ?

— Ne soyez donc pas si inquiète, ma chère mère, mon père peut avoir fait quelque rencontre heureuse qui lui a fait oublier le temps ; un oiseau rare, une plante curieuse, quelque gibier nouveau peut l’avoir retardé ou entraîné sans qu’il s’en doutât, plus loin qu’il ne comptait. »

Le brave garçon essayait évidemment par ces paroles de rassurer sa mère.

« Non, mon Ludwig, répondit-elle, non, ce n’est rien de tout cela, car votre père n’était pas seul, Francesca l’accompagnait. Vous savez que votre jeune sœur n’est pas habituée à de grandes excursions, et il ne se serait pas hasardé à aller au loin avec elle. Je ne puis supposer aucune bonne raison à cette absence prolongée, et le moins que j’en puisse craindre, c’est qu’ils ne se soient égarés dans le Chaco.

— C’est possible, maman ; mais maintenant Gaspardo est parti à leur recherche. Il connaît chaque pouce du pays dans un rayon de cinquante milles autour de nous. Dans toute l’Amérique du Sud, personne ne sait suivre une piste mieux que lui ; s’ils se sont égarés, il les aura bientôt retrouvés et ramenés. Ayez confiance dans le gaucho.

— Ah ! s’ils sont égarés. Madre de Dios ! C’en est fait d’eux. C’est la pire des suppositions, s’écria la pauvre mère.

— Comment, tia ? demanda le neveu, qui, bien que n’ayant pas jusqu’à présent prononcé une seule parole, était évidemment tout aussi inquiet que les deux autres interlocuteurs.

— Oui ! comment cela, maman ? s’écria en même temps le fils. Nous nous sommes égarés vingt fois avec mon père sans qu’il nous soit arrivé malheur.

— Vous oubliez, mes enfants, que nos protecteurs ne sont plus dans le voisinage, que Naraguana et sa tribu ont quitté leur dernière tolderia7 et se sont enfoncés dans l’intérieur. Votre père ignore lui-même où ils sont allés.

— C’est vrai, dit le jeune homme aux cheveux noirs. J’ai entendu mon oncle en parler à Gaspardo, et le gaucho n’a pu le renseigner. Il pensait qu’ils s’étaient établis un peu plus