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amie ? reprit-elle après un instant de silence.

— Comment n’en aurait-il pas eu, lui qui avait laissé derrière lui un petit camarade plein de bonté et de franchise, — en retrouvant une grande demoiselle frivole et sans pitié ?…

— En vérité, frivole et sans pitié ? fit-elle avec une indifférence affectée.

— Oui, répondit-il sans pouvoir dissimuler le dépit qui reprenait possession de lui : frivole et sans pitié ! Car, au lieu de s’excuser et de me donner une bonne parole, dans ce moment même, elle ne songe qu’à jouer avec une affection profonde et vraie, une affection sans rivale dans mon cœur, je puis l’affirmer, comme elle joue avec je ne sais quel brimborion suspendu à sa chaînette !… »

Elle savait maintenant le mot de la charade, ou, tout au moins, ne pouvait plus prétexter d’ignorance.

« Que voulez-vous ? dit-elle d’un air détaché, elle tient beaucoup à ce brimborion, comme vous l’appelez, par la raison qu’elle l’a reçu de lui ! »

Frank tressaillit comme si la flèche d’un Sioux l’eût transpercé de part en part. Sa physionomie, son air, son attitude avalent été changés d’un seul mot.

« Miss Dashwood, s’écria-t-il, serait-ce une indiscrétion de vous demander ce que vous tenez là ?

— Oh ! pas du tout ! fit-elle avec un petit rire clair en fermant sa main. Un objet sans valeur dont vous ne donneriez pas seulement le prix d’un bouton… »

Elle appuya sur ce mot avec une gaieté si malicieuse qu’il prit le courage d’insister.

« Je suis pourtant très curieux de le voir, dit-il en se penchant vers elle. Voulez-vous me permettre, au nom d’une ancienne ami… amitié, balbutia-t-il, — ce mot « amitié » lui paraissant trop faible, sans doute, pour rendre ce qu’il voulait exprimer. — Mais il n’acheva pas sa requête, car il s’était emparé de la petite main fermée, et sans grand effort avait réussi à l’ouvrir…

Un bouton de cuivre apparut brillant sur le chevreau noir.

Comment dire les émotions qui précipitèrent à cette vue les battements du cœur d’Armstrong ? c’était la surprise mêlée au remords, l’indignation contre lui-même associée à la joie la plus profonde.

« Quoi ! fit-il d’une voix tremblante, vous avez gardé cela, en souvenir de moi, depuis si longtemps ?… »

Elle ne répondit pas, mais pencha vers lui sa tête blonde, et ce silence était plus éloquent que n’aurait pu l’être aucune parole. La petite main gantée était restée dans celle du jeune homme. Il reprit :

« Chère Nettie, c’est plus que je ne méritais, à coup sur !… Et pourtant vous pouvez me croire, quand je vous jure que tout ce que j’ai d’affection est à vous sans partage… Mais me pardonnerez-vous mon aveuglement, consentirez-vous à accepter mon nom, ma vie ?

— Hélas ! fit-elle en souriant, tandis que deux grosses larmes de joie brillaient sur ses longs cils, il faudra bien y consentir, car je n’aurai jamais le courage de dire non… Vous rappelez-vous que je vous ai offert de reprendre ce bouton et que vous n’avez pas voulu ? Eh bien, je l’ai gardé, voilà tout ! »

Précisément à ce moment, la porte s’ouvrit et le commandant entra, suivi de mistress Saint-Aure et du capitaine Jim.

Frank tenait toujours la petite main de Nettie. D’un mouvement spontané il s’avança vers les nouveaux venus.

« Mon colonel, — Madame, — félicitez-moi, dit-il d une voix vibrante. J’ai le bonheur de vous présenter la future mistress Armstrong…

— Parbleu ! s’écria le capitaine Jim, on savait bien que cela finirait par là.

— Et moi, dit le colonel, avec son bon rire ouvert, n’ai-je pas toujours été d’avis que la fillette finirait par triompher ?

— Oui, répliqua le capitaine Jim, mais avouez que, sans ma ruse de guerre, les choses auraient encore pu traîner longtemps ! »

L’étonnement d’Armstrong, en les entendant parler de la sorte, n’eut d’égal que son plaisir en constatant combien Jim Saint-Aure était profondément étranger à toute pensée de jalousie. Le brave officier fut le premier à venir lui donner une poignée de main chaleureuse, en s’écriant le plus cordialement du monde :

« Enchanté de vous voir de retour, mon cher ami. Ah ! vous avez bien fait d’arriver ! Je vous assure que je faisais de mon mieux pour vous couper l’herbe sous le pied… Mais il faut que j’en prenne mon parti, n’est-ce