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CHAPITRE XXII
CONCLUSION


Il y avait déjà six semaines qu’Armstrong promenait ses tristesses dans sa petite ville natale, et il commençait à se blaser sur les transports d’admiration que le récit de ses prouesses, donné tout au long par les feuilles locales, n’avait pas manqué d’exciter, quand la poste lui apporta, un matin, deux grosses lettres d’aspect solennel.

La première qu’il ouvrit était de M. Smith, solicitor à New-York, 7e avenue, 15e rue, n° 130, et l’informait qu’un testament olographe laissé par John Logan Mac Diarmid, et daté du 22 décembre, contenait à son adresse, d’abord ce préambule :

« Tout en ce monde n’est qu’heur et malheur, et bien que j’aie affaire avec le plus méprisable des adversaires, il n’est pas impossible que je succombe. Je trouve donc sage de faire ce que je n’ai jamais fait jusqu’ici, mon testament. »

Puis le paragraphe suivant :

« Je lègue à mon cher camarade, Frank Armstrong, sous-lieutenant au 12e dragons, qui a toujours été un bon et loyal camarade pour moi, la somme de soixante mille dollars à prendre sur le plus net de ma succession ; plus le fusil à deux coups, système Wiremann, qui est accroché au-dessus de ma table de travail, et un bracelet d’or qu’on trouvera dans le second tiroir à droite de ladite table.

« Je prie mon ancien condisciple et ami d’accepter ce souvenir de nos bons rapports à West-Point, et d’une affection qui ne s’est jamais démentie de ma part, quoi qu’il ait pu, à certains moments en penser. Qu’il accepte sans scrupules, car la fortune personnelle de ma sœur Harotachtché est plus que suffisante, et le surplus qui restera de la mienne, après l’exécution de mes vœux, lui sera parfaitement superflu.

« Je prie Frank de donner à M. Meagher, en souvenir d’une rencontre qu’il n’aura sans doute pas oubliée, un excellent chronomètre de l’horloger Leroy, de Paris, qui ne me quittait jamais. »

À la fin de ce testament, Mac Diarmid recommandait aux États de prendre en pitié ce qui restait des tribus indiennes : « L’humanité seule peut vous faire des amis d’eux. Leur extermination restera une honte dans votre histoire, disait-il. Au nom de votre honneur, de votre propre intérêt, sachez les civiliser au lieu de les détruire et de les dégrader ! »

Frank fut ému jusqu’aux larmes de cette lecture.

Un souvenir lui revenait :

« Pauvre garçon, se dit-il, c’est pour aller écrire ce testament qu’il nous a quittés si vite la veille de Noël !… »

Du reste, cette petite fortune qui lui tombait du ciel le laissa presque indifférent. Elle venait le surprendre dans un de ces moments d’atonie morale où tous les événements font l’effet d’un rêve conscient, que le jour va dissiper, et auquel on ne croit qu’à demi. Le souvenir fidèle de son étrange ami, le Chef au bracelet d’or, et le fusil le touchaient plus que les dollars.

Il y avait plus d’une demi-heure qu’il rêvait au temps passé, aux années de West-Point, à ces longues causeries où Mac Diarmid se révélait à lui avec sa vive intelligence, son âme ardente et ses instincts indomptables, quand, tout a coup, il s’avisa de la seconde lettre qui était restée sur son bureau et qu’il n’avait pas encore ouverte, Deux plis se trouvaient sous l’enveloppe. Le premier, d’une concision toute militaire, informait simplement le sous-lieutenant