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« M. Mac Diarmid m’a mis en rapport avec un parent et ami à lui, — un gentleman écossais du nom d’Evan Roy… un vrai sauvage, s’il faut tout dire… mais ce n’est pas mon affaire…

« Ce matin à huit heures précises, la rencontre a eu lieu sur le fleuve. Les conditions étaient le revolver à six coups ; quinze pas de distance ; la première décharge au commandement ; les autres à volonté. Vainement j’avais tenté de les faire atténuer ; le satané Écossais n’avait rien voulu entendre. Je dois vous l’avouer, quand j’ai vu ces deux hommes en face l’un de l’autre, se détachant comme deux poteaux noirs, avec une netteté désolante, sur la nappe blanche qui couvrait la glace, j’ai compris que le pauvre Van Dyck était perdu. Le malheureux jeune homme avait dû passer la nuit à boire ; il pouvait à peine se tenir sur ses pieds.

« C’est ce M. Roy qui a donné le signal.

« À mon extrême surprise, dès la première décharge de Cornélius servi par le hasard, car il n’avait pas l’air à son affaire, Mac Diarmid est tombé. Je l’ai vu s’affaisser sur la neige, frappé d’une balle au ventre, tandis que Cornélius restait avec le bras tendu, comme stupéfait d’avoir visé si juste.

« Avec l’autre témoin, je m’élançai vers le blessé, quand il s’est soulevé sur le bras gauche en nous criant, comme c’était son droit, de le laisser faire et de ne pas bouger…

« Lentement, bien à loisir, il a visé Cornélius immobile. La détonation s’est fait entendre, — et Cornélius s’est abattu sur la face…

« — Nous partirons de conserve ! cela vaut mieux, c’est plus juste, » a dit Mac Diarmid.

« Et, comme épuisé par ce dernier effort, il a rendu le dernier soupir. Son adversaire était déjà mort.

« Des hommes de la station voisine, attirés par les coups de feu, sont arrivés et nous ont aidés à relever les cadavres… Les deux adversaires sont maintenant couchés côte à côte sous le hangar du chemin de fer. Roy est parti porter la lugubre nouvelle chez son ami. Et moi j ai le pénible devoir de vous la faire connaître. »

Le juge Brinton, chose étrange à dire, paraissait plus furieux encore qu’attristé.

« Voyez-vous, mon cher, reprit-il en tournant son œil terne vers Frank Armstrong, il n’y a jamais à compter sur ces mulâtres… Pas de parole pour deux sous !… »

Le capitaine Burke était à peine retiré depuis un quart d’heure, et Frank était encore avec le juge dans le petit salon vert, quand le valet, tout effaré, vint annoncer qu’un piquet d’agents de la force publique, commandé par un officier de police, demandait à pénétrer dans la maison.

M. Brinton courut au vestibule ; il y trouva l’agent.

« Juge, désolé de troubler vos fêtes de Noël, dit celui-ci avec politesse, mais j’ai un warrant contre un de vos hôtes…

— Contre un de mes hôtes ? » répéta le magistrat au comble de la surprise.

L’homme avait tiré de sa poche un papier timbré et lisait :

« … Mandons et ordonnons à tous les agents de la force publique d’appréhender au corps et tenir en sûreté le nommé Mac Diarmid. »

Frank et M. Brinton écoutaient en silence cette lettre. L’officier de police crut qu’ils prétendaient nier la présence de celui qu’ils cherchaient ou espéraient lui donner le temps de s’échapper.

« Inutile de nier qu’il soit ici, dit-il en s’interrompant ; nous en avons été avisés hier soir, par dépêche télégraphique, de la station même de Brintonville. »

Et il montra un télégramme ainsi conçu :

« Le Chef au bracelet d’or qui a dirigé la dernière révolte des Sioux, de son vrai nom Mac Diarmid, est présentement l’Hôte du juge Brinton, aux Beeches, Brintonville. L’arrêter cette nuit même avant sept heures du matin, si l’on veut arriver à temps.

Signé : « Cornélius Van Dyck. »

« À la bonne heure, se dit Frank ; il n’était pas possible qu’un homme qui n’avait pas su vivre se fût exposé à bien mourir. Le misérable avait trouvé le moyen de déshonorer jusqu’à sa mort même ! Le lâche comptait ainsi éviter ce duel…

— L’arrêter avant sept heures, reprit l’agent, était impossible, car nous n’avions pas le warrant nécessaire… mais nous n’avons pas perdu de temps… »

Le juge restait toujours silencieux, sous le coup d’une stupeur grandissante. Frank prit alors le parti de raconter à l’officier de police le drame qui venait de se dénouer d’une manière si tragique.