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CHAPITRE XXI
COUP DOUBLE


Frank Armstrong venait à peine d’entr’ouvrir les yeux et rêvait paresseusement dans son lit aux incidents de la veille, quand un coup, discrètement frappé à sa porte, acheva de le ramener au sentiment de la réalité.

« Entrez ! » cria-t-il.

C’était le domestique de confiance du juge Brinton.

« Un gentleman qui est en bas, demande à parler à monsieur. Il paraît très pressé et n’a rien voulu entendre quand je lui ai dit que monsieur n’est pas encore descendu. Voici sa carte.

— Le capitaine Burke ! se dit le sous-lieutenant après avoir jeté les yeux sur le plateau de laque. Que peut-il me vouloir ?… Sans doute quelque complication nouvelle entre Mac Diarmid et Van Dyck. Priez le capitaine de m’attendre cinq minutes, reprit-il à haute voix. Je m’habille et je descends. »

En pénétrant dans le petit salon vert, Frank Armstrong fut d’abord frappé de l’air profondément attristé de son frère d’armes.

« Mauvaises nouvelles, mon cher Frank, dit celui-ci. J’arrive en messager de malheur et je suis si embarrassé de mon rôle que j’ai pris la liberté de vous faire appeler en même temps que le juge Brinton… »

Comme il disait ces mots, le juge en personne entrait dans le salon.

« Monsieur, poursuivit le capitaine en s’avançant vers lui, j’ai le douloureux devoir de vous annoncer que M. Cornélius Van Dyck… vient de trouver la mort dans un combat loyal.

— Cornélius ?… mort ?… Ce n’est pas possible ! s’écria le juge encore à moitié endormi.

— C’est pourtant la triste vérité, reprit l’officier en tirant sa montre. Il y a maintenant trois quarts d’heure que Cornélius Van Dyck a cessé de vivre sous mes yeux, frappé d’une balle au cœur.

— Allons donc ! Vous voulez rire ! balbutia le juge.

— Pardonnez-moi d’insister, reprit le capitaine quelque peu décontenancé par cette incrédulité. Mais j’ai l’honneur de vous attester, monsieur, que je viens d’assister en qualité de témoin votre neveu Cornélius, lequel a été tué net par son adversaire !

— Et quel était cet adversaire ? demanda le juge ébranlé enfin dans ses convictions les plus enracinées.

— M. Mac Diarmid.

— Mac Diarmid ! Est-il bien possible ? Lui qui, pas plus tard qu’hier, me faisait de telles protestations d’amitié !…

— Il ne vous en fera plus jamais, reprit le capitaine Burke d’une voix sombre, car lui aussi… il est mort !…

— Mort ?… Mac Diarmid ?… Allons, monsieur, vous voyez bien que vous êtes mal informé ! s’écria le juge, la gorge serrée cette fois par une émotion sincère. Aujourd’hui même j’ai rendez-vous avec lui, — un rendez-vous d’affaires, — très important !…

— Il n’y viendra pas, monsieur. Car, lui aussi, je l’ai vu couché sur la neige, sans vie, comme votre neveu… Aussi bien, je puis vous conter en deux mots cette tragique affaire… Mac Diarmid et Van Dyck avaient une vieille querelle à vider. J’ignore quelle en était au fond la nature exacte. Il y avait eu des voies de fait, — un coup de cravache, — en public, devant cent personnes ; bref, une de ces affaires qui ne peuvent pas s’arranger. Votre neveu m’a prié de lui servir de témoin. Moi, son ancien capitaine, je ne pouvais faire qu’une chose, n’est-ce pas ? me rendre sans hésitation à son désir…