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Il y avait quelque chose de terrifiant dans la réaction que je subissais : la douleur effroyable qu’elle me causait était rendue plus vive par la soudaineté du choc. Une minute avant, j’étais plein de confiance, tout semblait seconder mes vœux, et ce malheur imprévu me replongeait dans l’abîme.

J’étais foudroyé, je ne pensais plus. À quoi bon réfléchir ? je ne pouvais plus rien faire, puisque je n’avais plus d’outil.

Mon esprit s’égarait ; je passai machinalement les doigts sur le manche de mon couteau, et restai le pouce appuyé sur le tronçon de la lame ; je ne pouvais pas croire qu’elle fût brisée ; cela me paraissait un rêve ; je doutais de mes sens, je ne me possédais plus.

Peu à peu la réalité se fit jour dans mon esprit : c’était bien vrai ; j’avais perdu tout moyen de me sauver. Mais lorsque j’avais compris toute l’étendue de mon malheur, je cherchai instinctivement à lui échapper.

Les paroles d’un grand poëte, que j’avais entendu lire à l’école, me revinrent à la mémoire :

Mieux vaut se servir de ses armes brisées, que de faire usage de ses mains nues.

Personne plus que moi ne devait mettre à profit la sagesse de ces paroles. Je songeais à reprendre ma lame ; elle gisait toujours entre les planches, à l’endroit où elle s’était cassée.