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Lectures pour Tous

« Ma meilleure joie était de m’occuper des installations mécaniques paternelles ; c’était mon département et j’en étais bien heureux et bien fier.

« J’excellais d’ailleurs dans ma partie ; et vous pensez bien que dans un domaine aussi vaste que celui que possédait mon père, les installations mécaniques abondaient. Ce domaine comportait notamment une voie ferrée d’un développement de plus de cinquante kilomètres ; souvent, je conduisais moi-même les trains. C’était l’un de mes plus vifs plaisirs. Mon goût pour la mécanique m’amena à entrer m’établir dans notre école polytechnique, d’où je sortis ingénieur civil. C’est alors que je vins en France. Je vis dans votre beau pays depuis tantôt vingt-deux ans : je l’aime d’un amour presque égal à celui que je nourris pour ma chère patrie.

La première prouesse aérienne : Santos-Dumont au dessus de la pelouse de Bagatelle, parcourt 220 mètres en 21 secondes, 13 novembre 1906 (Cliché Granger)
POUR AVOIR LU JULES VERNE.

— Quand et comment interrompis-je, avez-vous été amené à vous occuper d’aéronautique, à devenir le premier pionnier de la conquête de l’air ? — D’une façon bien simple, qui paraîtra sans doute invraisemblable et extraordinaire : c’est aux lectures de ma jeunesse que je dois d’avoir été entraîné à me passionner pour la conquête de l’air. Et cette passion, je la dois au romancier merveilleux dont le génie prodigieux, prophétique, ne sera jamais assez célébré, à Jules Verne ; esprit étonnant de prescience qui a, avec une fantaisie scientifique divinatoire, construit au courant de la plume, toutes les grandes inventions modernes. J’aime et vénère Jules Verne, et ce serait de ma part, et de la part de tous, la pire des ingratitudes que de ne pas reconnaître l’influence considérable qu’il eut sur les imaginations de jeunes générations. C’est lui qui leur a donné le goût, la curiosité des tentatives mécaniques les plus hardies, les plus monstrueuses pourrait-on dire. Il les a rendues vraisemblables, et la réalité a, en vérité, montré qu’il avait eu raison. J’avais donc l’idée de travailler à la conquête de