Page:Reichel - Notre interview de Santos-Dumont, 1914.djvu/3

Cette page a été validée par deux contributeurs.
591
Notre interview de Santos-Dumont

taient que, de ce jour, s’ouvrait une époque de victoires nouvelles, de prouesses inouïes et d’héroïsme.

Santos-Dumont a plus fait pour la conquête de l’air par sa foi, par celle qu’il inspira, par l’élan qu’il donna, par les espérances qu’il fit naître, par la crânerie confiante de ses intrépides tentatives, que par ses créations mêmes. Il ouvrit la voie, il déchaîna le mouvement, et par cela il fut, il est le véritable et magnifique pionnier de la locomotion aérienne. Il osa ; il joua sa vie avec une simplicité souriante, admirable.

Et ce sera l’honneur de la France d’avoir rendu l’hommage qu’il convenait à l’œuvre d’un étranger qu’elle considère comme un des siens et qui l’a prise pour sa patrie d’adoption.

Santos-Dumont, au lendemain de la manifestation qui a consacré ses actes et sa juste gloire, a bien voulu confier aux lecteurs des Lectures pour tous comment il vint à la conquête de l’air.

o   o   o

58, avenue du Bois-de-Boulogne, un vaste, clair, élégant rez-de-chaussée, dont les fenêtres sourient à la splendeur verdoyante de l’avenue.

Santos-Dumont, avenue du Bois-de-Boulogne, dans sa voiture électrique, l’une des premières qu’on vit circuler dans Paris.

Sur les cheminées, sur les meubles, aux murs, des bibelots, qui rappellent les prouesses aériennes de Santos-Dumont.

Vous connaissez Santos ? Un petit homme, léger, sec, nerveux, vigoureux ; un véritable athlète réduit, du poids de cinquante kilos, que la pratique des sports a tenu dans une parfaite condition. Il a le front haut, large, découvert, la face allongée, les traits accusés, à la fois résolus et souriants.

Santos-Dumont dans la nacelle de son dirigeable no 14, 1905.

Une petite moustache très courte, des yeux vifs, mobiles, complètent sa physionomie si particulière, si originale. Gentiment, et comme gêné d’avoir à me parler de lui, Santos se prête cependant à l’interview. Il s’y prête difficilement, mais j’y apporte, moi, une rigoureuse et méthodique opiniâtreté. Et il m’expose ce qui suit :

« Je suis Brésilien ; ceci, on le sait. Je naquis à São Paulo, le 20 juillet 1873. Ma jeunesse s’est passée au milieu des vastes plantations de café que possédait mon père.

« Je vécus là une existence libre, incomparable pour former le tempérament et donner le goût de l’aventure. Dès ma première jeunesse, j’eus un penchant extrêmement prononcé pour les choses de la mécanique et, comme tous ceux qui ont, ou croient avoir, une vocation, je cultivais la mienne avec soin et passion.

« J’ai de tout temps bibeloté, imaginé, construit de petits engins mécaniques qui me ravissaient et me valaient une grande considération familiale.