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Lectures pour Tous

les jours et de tous les temps, les constructeurs devraient s’ingénier à créer l’aéroplane de sport, de simple agrément, pour beaux jours, pour beau temps, léger, bon marché.

Regardez le ciel ! Est-ce que les oiseaux ne restent pas au nid quand le ciel est contre eux ? C’est leur instinct qui les y fait rester ; l’instinct de l’homme, c’est la raison.

Je souhaite que les constructeurs français en viennent à la formule que j’indique ; ils rendront un grand service à la cause de l’aviation et à eux-mêmes en fournissant à beaucoup de gens, qui désireraient se donner des ailes, l’occasion d’en acquérir, mais qui renoncent au tourisme et au sport aériens parce qu’ils sont trop dispendieux et non pas parce qu’ils les trouvent dangereux. »

o   o   o

Ainsi parla M.  Santos-Dumont. Je le remerciai des détails qu’il m’avait donnés sur lui et l’origine de sa prodigieuse vocation, et plus encore des opinions qu’il m’avait fournies sur l’aviation moderne.

Il semble bien que les faits lui donnent, hélas ! constamment raison. Quelques jours après cette interview, l’aviateur Perreyon, que tous considéraient comme un pilote que sa science, son expérience, son sang-froid mettaient à l’abri d’un accident, se tuait à Buc dans un accident d’atterrissage, cependant que les accidents mortels se multipliaient en France, à l’étranger, dans l’aviation civile et militaire.

Si quelques-uns étaient communiqués avec cette mention : « pour une cause inconnue », la plupart étaient motivés par un mauvais atterrissage. Dois-je rappeler ici le plus tragique de tous ? celui survenu à Bethon, près d’Épernay, au lieutenant Briault et au soldat Brouillard, qui, dans un atterrissage malheureux étaient tués et carbonisés sous les débris de leur appareil enflammé ?

L’aviation française, est au point de vue industriel, dans une période difficile : elle n’a pour clients que l’armée française et les gouvernements étrangers, ces derniers peu à peu tentant de se fournir eux-mêmes ou s’approvisionnant par ailleurs. Il est nécessaire que nos constructeurs tournent leurs efforts vers l’aviation civile, en faisant d’elle un sport et un moyen de tourisme occasionnel, exceptionnel, délicieux et vainqueur.

L’armée caresse le projet — démenti mais certain — de devenir son constructeur. D’ores et déjà, elle a décidé de n’admettre dans la formation de ses escadrilles que trois marques d’appareils, quatre au maximum. Aujourd’hui, une douzaine de marques alimentent l’armée, et leur concurrence assure les progrès de l’aviation. Le jour où la concurrence sera limitée à quatre marques officielles, cette concurrence perdra de son intensité et ses conséquences fécondes seront quasiment nulles.

Seule alors, l’aviation civile assurera l’avenir de la conquête de l’air.

Il faut penser à elle.

Frantz REICHEL
Monument commémoratif « des exploits de Santos-Dumont », inauguré à Saint-Cloud en octobre 1913. (Cliché Branger.)