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Notre interview de Santos-Dumont

à faire aux constructeurs, je leur dirais qu’ils sont, à mon avis, dans l’erreur en exagérant la puissance de leurs appareils ; ils se plaignent que l’aviation civile ne se développe pas, mais c’est aussi qu’ils la rendent vraiment trop coûteuse. Du moteur de 50 chevaux, on est passé aux 70, aux 80, aux 100, aux 160 chevaux et voici qu’on en est aux 200 chevaux !

« Des appareils de 30 000 à 45 000 francs sont trop coûteux, non seulement au point de vue du prix d’achat, mais surtout si l’on considère leur emploi. Le kilomètre « vol » coûte des prix insensés ; ces moteurs si puissants sont ivres d’essence et d’huile ; la moindre sortie devient une prodigalité !

« Si l’on comprend très bien que l’aviation militaire ait besoin d’appareils qui, par leur force puissent sortir par tous les temps, parce que pour se battre, on ne choisira ni son jour, ni heure, j’estime que c’est une grosse erreur de vouloir faire pour l’aviation civile des appareils de toutes circonstances.

Le plus récent appareil de Santos-Dumont, la « Demoiselle », que l’aviateur Morane pilota à Villacoublay, novembre 1913.

« À l’heure actuelle, l’appareil civil doit être considéré avant tout, et surtout, et dans l’intérêt même des constructeurs comme un appareil de tourisme et de sport occasionnel.

« Est-ce que, par exemple, les yachts à voiles de nos rivières ou de nos ports, si bons navigateurs, si fins voiliers qu’ils soient, ont la prétention de pouvoir affronter la mer et le vent en toutes occasions ? Ils attendent leur jour, ils attendent le flot favorable, ils attendent le vent propice, et, si les conditions maritimes et atmosphériques ne sont pas celles qui leur conviennent, ils restent à l’ancre, bien à l’abri dans le port !

« La marine de guerre a besoin de navires qui sortent tous les jours, qui sortent par tous les temps.

« Le sportsman, le touriste et même le commerçant, n’ont pas absolument, besoin d’un bateau qui affronte toutes les difficultés de la mer et de l’air.

« De même pour l’aviation. Tout en poursuivant la réalisation de l’aéroplane de tous