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du mot, la chronologie relative des différentes parties d’un même hymne ou des différents hymnes comparés les uns aux autres à cet égard, est d’une importance médiocre pour déterminer le progrès des idées du recueil. Je sais bien que là précisément est le point en question : les différences chronologiques des textes établies d’après le criterium imaginé par Bergaigne correspondent-elles à des différences de sentiments ou de doctrine ? Nul ne saurait mettre en doute l’intérêt qui s’attache au problème. On peut prévoir toutefois, en présence de l’uniformité générale, au moins apparente, des conceptions et de la phraséologie védiques, que, les hymnes philosophiques étant mis à part, le résultat de l’enquête serait plutôt négatif.

Parmi les innovations que l’initiative heureuse de Bergaigne a introduites dans la méthode d’explication en détail des textes védiques figurent en première ligne ses efforts, dont j’ai déjà parlé, pour rattacher à un sens unique les différentes acceptations d’un même mot considérées généralement comme tout à fait distinctes les unes des autres par les savants qui l’ont précédé. Là où ses devanciers avaient cru pouvoir changer arbitrairement la signification étymologique et habituelle des vocables, il prit à tâche de plier le contexte aux possibilités de leur emploi métaphorique. Non seulement je crois à la légitimité de cette seconde méthode, mais elle me semble la seule qu’une saine logique autorise. Seulement, Bergaigne l’a-t-il assez généralisée et systématisée ? A-t-il suffisamment tenu compte, par exemple, des rapports essentiels qui existent entre le sens figuré des mots et la filiation en vertu de laquelle, le sens primitif étant donné, tel ou tel sens secondaire en dérive avec une rigueur en quelque sorte mathématique ? Accaparé par d’autres côtés de sa tâche, dont on ne saurait trop célébrer la valeur, il a négligé un peu trop, à mon sens, un genre d’études védiques que l’excellent Grassmann, dans son Lexique du Rig-Véda, avait supérieurement ébauché. En un mot, il s’est contenté de faire de la sémantique empirique, tandis que la sémantique raisonnée et régularisée paraît requise pour résoudre les difficultés réfractaires à toute autre méthode que présente le sens des textes védiques.