Page:Regnard - Œuvres complètes, tome troisième, 1820.djvu/48

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

J’avois fait ce beau coup ; mais, à vous dire vrai,
Ce mariage-là n’étoit qu’un coup d’essai.
J’avois pris un mari brutal, jaloux, bizarre,
Gueux, joueur, débauché, capricieux, avare,
Comme ils sont presque tous : je l’ai tant tourmenté,
Excédé, maltraité, rebuté, molesté,
Qu’enfin il m’a privé de sa vue importune[1] ;
Le diable l’a mené chercher ailleurs fortune.

ismène.

Est-il mort ?

cléanthis.

Est-il mort ? Autant vaut. Depuis vingt ans et plus
Qu’il a pris son parti, nous ne nous sommes vus ;
Et quand même en ces lieux il viendroit à paroître,
Nous nous verrions, je crois,
tous deux sans nous connoître.
J’ai bien changé d’état ; et lorsqu’il s’en alla,
Je n’étois qu’un enfant haute comme cela.

ismène.

Ta belle humeur pourroit me sembler agréable,
Si de quelque plaisir mon cœur étoit capable.

cléanthis.

Pour chasser le chagrin, madame, où je vous vois,
Consentez, je vous prie, à venir avec moi,
Pour voir un animal qu’en ces lieux on amène,

  1. Ce vers est conforme à l’édition originale, à celle de 1728, et à celle de 1750. Comme, suivant la construction du vers, on ne pouvoit pas mettre au féminin le participe privé, dans les éditions modernes, on s’est permis ce changement :
    Qu’il m’a privée enfin de sa vue importune.