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démocrite.

Toujours boire et manger ! Carnassier animal,
C’est bien fait ; suis toujours ton appétit brutal.
Le corps, ce poids honteux, où l’âme est asservie,
T’occupera-t-il seul le reste de ta vie ?

strabon.

Quand je nourris le corps, l’esprit s’en porte mieux.

démocrite.

Âme stupide et grasse !

strabon.

Âme stupide et grasse ! Elle est grasse à vos yeux ;
Mais mon corps, en revanche, est maigre,
dont j’enrage.
Je suis las à la fin de tout ce badinage ;
Et si vous ne quittez les lieux où nous voilà,
Je serai bien contraint, moi, de vous planter là.
Je suis un parchemin ; mon corps est diaphane.

démocrite.

Va, fuis de devant moi ; retire-toi, profane,
Puisque ton cœur est plein de sentiments si bas :
Assez d’autres, sans toi, suivront ici mes pas.
Je voulois te guérir de tes erreurs funestes,
Te mener par la main aux régions célestes,
Affranchir ton esprit de l’empire des sens :
Tu ne mérites pas la peine que je prends,
Animal sensuel, qui n’oserois me suivre !

strabon.

Sensuel, j’en conviens ; j’aime à manger pour vivre :
Mais on ne dira pas que je sois amoureux.