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cléanthis.

Depuis près de vingt ans je goûte un sort si doux.
J’avois pris un mari fourbe, plein d’injustices,
Qui d’aucune vertu ne rachetoit ses vices,
Ivrogne, débauché, scélérat, outrageux.
Pour sa mort je faisois tous les jours mille vœux.
Enfin, le ciel plus doux, touché de ma misère,
Lui fit naître en l’esprit un dessein salutaire ;
Il partit, me laissant, par bonheur, sans enfants.

strabon.

C’est tout comme chez nous. Depuis le même temps,
Inspiré par le ciel, je quittai ma patrie,
Pour fuir loin de ma femme, ou plutôt ma furie.
Jamais un tel démon ne sortit des enfers.
C’étoit un vrai lutin, un esprit de travers,
Un vieux singe en malice, insolente, revêche,
Coquette, sans esprit, menteuse, pie-grièche.
À la noyer cent fois je m’étois attendu ;
Mais je n’en ai rien fait, de peur d’être pendu.

cléanthis.

Cette femme vous est vraiment bien obligée !

strabon.

Bon ! Tout autre que moi ne l’eût point ménagée,
Elle auroit fait le saut.

cléanthis.

Elle auroit fait le saut.Et de grâce, en quels lieux
Aviez-vous épousé ce chef-d’œuvre des cieux ?

strabon.

Dans Argos.