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Le Comédien François.

Est-ce qu’un bourgeois doit plaindre trente sous pour être logé pendant deux heures dans l’hôtel le plus magnifique et le plus doré qui soit à Paris ?

Colombine.

Hé ! Ne nous vantez pas tant les magnificences de votre hôtel : votre théâtre, environné d’une grille de fer, ressemble plutôt à une prison qu’à un lieu de plaisir. Est-ce pour la sûreté des jeunes gens qui sortent de la Cornemuse ou de chez Rousseau, et pour les empêcher de se jeter dans le parterre, que vous mettez des garde-fous devant eux ? Les Italiens donnent un champ libre sur la scène à tout le monde ; l’officier vient jusque sur le bord du théâtre, étaler impunément aux yeux du marchand la dorure qu’il lui doit encore ; l’enfant de famille, sur les frontières de l’orchestre, fait la moue à l’usurier qui ne sauroit lui demander ni le principal, ni les intérêts ; le fils, mêlé avec les acteurs, rit de voir son père avaricieux faire le pied de grue dans le parterre, pour lui laisser quinze sous de plus après sa mort. Enfin le théâtre italien est le centre de la liberté, la source de la joie, l’asile des chagrins domestiques ; et quand on voit un homme à l’hôtel de Bourgogne, on peut dire qu’il a laissé tout son chagrin chez lui, pourvu qu’il y ait laissé sa femme.

Le Parterre.

J’en connois qui laissent quelquefois leurs femmes seules au logis, et qui les retrouvent ici en fort bonne compagnie.