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une incarnation de l’éternelle mélancolie ! d’où es-tu ? Ta figure est penchée sur l’abîme. Le doigt posé sur tes lèvres closes et la main sur ton cœur, tu t’agenouilles ainsi que des feuilles dispersées.

Serais-tu le symbole de la gloire égarée ? Serais-tu le recueillement solitaire ? Serais-tu la piété, le silence, le rêve, le souci ? Serais-tu la face contrite du noir pessimisme de ce monde ? Et sous ton front fatal et obstiné garderais-tu désormais pour toujours des raisons assombries par toutes choses ? Peut-être que ces lèvres ne vont s’ouvrir que pour nous dire que ton cœur souffre et que ces verts rameaux, emblèmes de la force et à tes pieds foulés, vont nous insinuer que tout est vain.

Quoi qu’il en soit, œuvre de mystère, tu réchauffes mon cœur au vrai soleil de l’art ; un souvenir des visions florentines me poursuit et m’obsède depuis que ton profil désespéré s’est tourné vers les basses conceptions de l’ouvrier contemporain.

Autour de toi surgissent, comme des figures mortes, de mornes évocations, muettes et blafardes, où le néant, la bassesse et l’insipidité ne font qu’élever ton bronze auguste plus haut encore.

Dans l’isolement où ton métal rayonne, sembles-tu dire aussi qu’autrefois les maîtres étaient grands et leurs visées plus hautes ; qu’ils pouvaient vivre pour un art de sincérité ; sembles-tu dire que la Passion primait le talent même, montrant par elle seule les âmes libres, source de la beauté ?

Mais de faux mages adorant de faux dieux nous ont dit cependant qu’on subissait ailleurs de magnanimes influences. Ils ont dit qu’une école détenait les secrets du style, la science de la règle, le livre de la Voie ; triste orgueil montré pour quelques lignes rigides bien tracées, pour ces bustes grotesques si bien alignés, pour cette pierre ciselée sans la vie, pour ces marbres glacés, travaillés on ne sait comment ni par quelle industrie, et qui n’appellent que la mort...

Marie Cazin préluda à cet art par de beaux dessins d’une sim-