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est indispensable à ceux qui font de l’art ; aussi, son absence peut stériliser chez les meilleurs esprits des dons précieux.

Cependant, on peut manquer totalement et ridiculement de sens pratique et avoir du génie. Soit !

Mais le peintre a toujours un œil, un œil qui voit.



1876. — La photographie uniquement utilisée à la reproduction des dessins ou des bas-reliefs me semble dans son vrai rôle, pour l’art qu’elle seconde et qu’elle aide, sans l’égarer.

Imaginez les musées reproduits ainsi. L’esprit se refuse à calculer l’importance que prendrait soudain la peinture ainsi placée sur le terrain de la puissance littéraire (puissance de multiplication) et de sa sécurité nouvelle assurée dans le temps…



J’ai de la répulsion pour ceux qui prononcent à pleine bouche le mot « nature », sans en avoir rien dans le cœur.

J’en vois, au plus fort de l’âge et du talent, qui n’ont plus que leur manière, pratique impuissante, manie stérile, turpitude, vain désir de se montrer habile. Ils méconnaissent les études de Corot, qui sont des chefs-d’œuvre de maladresse : l’œil et l’esprit y commandent tout ; la main y est esclave sous l’observation. Corot est l’ingénieux et sincère initiateur de cette pratique de l’art de peindre telle que celle des peintres de jadis quand ils étudiaient. Le paysage ainsi fait m’intéresse et m’attire comme une délectation. Et dire que l’industrie s’empare du modèle d’atelier : on trouve chez le marchand, des morceaux, des académies, tout le nu pris sur le vif : résultat vraiment mortel. C’est aussi hideux à voir qu’un plâtre moulé sur nature.

Pour le paysage, même cynisme : arbres, forêts, ruisseaux, plaines, ciels, nuages. On ne saurait rien faire de pire pour nous