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Quimper, 3 Juillet. — On entend au dehors des pas marqués et des bruits sonores. Tout est bref et précis. L’éclat vif et soudain de tout ce qui se meut, frappe les yeux et l’esprit comme un trait. C’est là le Nord qui tombe, c’est le ciel qui s’abaisse obstinément, pesant et dur, sur les hommes qu’il accable. Il pleut, il tombe lentement un brouillard ferme. Tout est triste et comme opprimé. La nature entière, hommes et paysage, semble sentir le poids du fonds des temps. C’est la chaîne obstinée, le fatal élément du dehors qui tient tout dans les fers, sur le sol, dans le sombre séjour d’un pays frappé. Quelle étrange terreur, quelle dure tristesse qui tombe lentement sur la vie et les choses et qui glace le cœur le mieux étayé. Que faire ici, que voir et que sentir, si ce n’est d’écouter lentement les êtres qui s’agitent et leurs voix et leurs pas si rapides. Triste pays, accablé sous des couleurs sombres ; quel mâle et dur séjour tu proposes à celui que fatigue une vie dure et sans repos ! Tu n’es pas celui de la rêverie.

On me demande mes certitudes — en art. Il faut avoir le bon sens d’avouer, sans phrases et sans tromper personne, qu’on ne peut être bien certain que de la peinture qu’on a pu faire. Toutes les autres résident en puissance dans l’inconnu, dans le mystère des virtualités d’autrui qui pourront éclore.

Mon Credo apparaît donc inscrit dans ce qui résulte des ouvrages qui sont le fruit de mon effort personnel à travers toutes les ambiances de la pédagogie, officielle ou non, du temps où j’ai vécu, simplement.

Il est vain ou malfaisant de régenter.


Peyrelebade. — Soulac, Soulac, c’est le cri attendu qu’entend enfin le voyageur qui s’est porté vers la plage inconnue. Il ne voit rien d’abord : un large et mouvant tapis de sable, de grands pins sur la dune éboulée. Il est seul, presque perdu ; l’indigène étonné