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autrement ? Il eût fallu des anges pour vivre de sacrifice aux premiers jours de la liberté.

Il y a des rires stupides qui découvrent le cœur et mettent à nu les fonds cachés de l’âme. Il y en a d’autres qui révèlent des joies célestes.

Un homme d’action n’est pas ironique.

La fin d’un jour rempli donne à l’esprit des compensations infinies. Le suprême loisir des âmes d’élite est tout entier dans ces heures exquises qui suivent l’effort douloureux et fécond. Il y a un âge où l’équilibre des forces permet de nous assurer ces joies célestes et suaves, les plus belles de la vie, et les seules aussi qui nous donnent le droit de dire que nous avons vécu.



1870. — Le repentir est une nouvelle innocence.

Chaque jour qui s’en va porte avec lui sa peine, il soulève un peu le voile de la vérité. Le plus dur est de voir les amitiés s’attiédir ou s’éteindre ; elles sont perdues souvent par les riens de la vie qui séparent les hommes en idées, en occupations, en habitudes, en plaisirs ; mais seulement les amitiés d’enfance sont plus sûres, et sur elles il est très doux de s’appuyer. Peuple dit bien des choses : il y a ceux qui lèvent les yeux plus haut et qui souffrent ; ils demandent un peu de repos. La douleur parle, ils se taisent. Les meilleurs sentiments sont au fond de leur âme, et, dans leurs yeux mouillés de pleurs, on ne voit que la bonté.

Il y a aussi le peuple qui en veut aux savants, aux penseurs et aux sages ; ce sont les parvenus et les rois eux-mêmes.

On ne juge les autres que relativement à soi, en les comparant à soi, au lieu de ne les envisager que par rapport à la vérité. Cet homme est plein de défauts que n’ont pas ses amis ; tel autre