J’allais de préférence dans les pauvres quartiers de la banlieue où les temples sont populeux, la piété plus naturelle et vraie. Ce sont là des heures dont je me souviens comme ayant ressenti une vie à son comble, haute et suprême, inouïe. Etait-ce par l’art ? Etait-ce de communion avec le peuple que j’aimais, ou de la foule que j’aime encore ? J’ai retrouvé depuis dans Beethoven de suprêmes joies, mais elles me semblent diminuées de tout ce que l’humanité y cumule et la change : nous mêlons à la neuvième symphonie notre triste joie. Celle issue des chants sacrés me révélait entièrement alors un infini sans mélange, découvert comme un absolu réel, le contact même de l’au-delà.
Vers l’âge de quinze ans, on me donna pour le dessin un professeur libre, chez qui j’allais travailler les jours de sortie. Il était aquarelliste distingué, et très artiste. Son premier mot — je m’en souviendrai toujours — fut de m’aviser que je l’étais moi-même et de ne me permettre jamais de donner un seul trait de crayon sans que ma sensibilité et ma raison ne fussent présentes. Il me fit faire des études, qu’il appelait études sur nature, où je ne devais traduire que ce qui m’était motivé par les lois de la lumière et de la statique. Il avait horreur de ce qui s’exécute de pratique. Il apportait dans l’analyse des copies qu’il me faisait faire un sens pénétrant et subtil des procédés, une clairvoyance à les décomposer et les expliquer, qui m’étonnaient beaucoup alors, et que je comprends aujourd’hui. Il possédait des aquarelles des maîtres anglais qu’il admirait beaucoup. Il me fit faire des copies.
Très indépendant, il me laissait aller à mes sympathies. Il considérait comme un bon augure les frissons et les fièvres que me donnaient les toiles exaltées et passionnées de Delacroix. En ce temps-là, il y avait en province des expositions ouvertes à des envois nombreux des grands artistes. C’est ainsi que je pus voir à Bordeaux des œuvres de Millet, Corot, Delacroix, les débuts de Gustave Moreau. Mon professeur me parlait devant elles en poète qu’il était, et ma ferveur en redoublait. Je dois à mon ensei-