puissance. Le don vital est en lui le moteur continu qui le conduira d’une œuvre à l’autre et par degrés jusqu’à la fin.
N’est-ce pas la marque du génie de paraître ainsi parmi nous tout un, entier, unique, petit prince ou grand roi du royaume ?
Un art de ce caractère est rare : il ne peut, quand il éclôt, nous apparaître tout à fait de la sorte. Lorsque Delacroix débuta avec puissance et en puissance, il était loin d’avoir trouvé sa langue, sa technique. Il avait tout pour surprendre : audace, ardeur, originalité, tempérament, mais rien encore de ce qu’il lui fallait acquérir lentement pour donner pleinement sa flamme lyrique. Il ne donna jusqu’à trente ans que sa gourme, et ces premières extravagances du génie qui surprennent, saisissent et captent les regards. Certes, on sait comme il fit tapage. C’est après la vue du Maroc qu’il se trouva. Il y prit sur nature même des notes précises et, dans les effets variés et multiples du paysage, des documents dont il devait se servir pour toujours. Ce génie si ardent, si véhément, agité d’un bout à l’autre de son œuvre par la passion, ce peintre qui débuta par la peinture d’une damnation, de la peste et des heurts révolutionnaires, est obligé de s’assagir un moment par l’exécution de sujets plus calmes. Sa Noce juive est le premier essai. Elle est la première page où cette imagination anxieuse se repose enfin, se cherche, médite et se recueille sur les pouvoirs de la palette et du registre de ses tons. Il la possédera plus tard pleinement dans ses Femmes d’Alger en appartement, que l’on peut considérer comme son chef-d’œuvre, quant au talent d’y manier les effets du prisme par un nouvel art de juxtaposition. Ça, c’était l’affaire du coloriste, c’était l’affaire du peintre pur, qui élargissait, qui agrandissait pour plus tard après lui la notion même de la peinture. Mais il y avait en lui le dramaturge. Il lui fallait, au surplus, satisfaire aux bouillonnements de son imagination et de ce que lui suggérait la lecture des auteurs aimés de son temps. C’est avec eux et pour eux qu’il se crée un moyen. Il transige dans l’intérêt de son cœur et de sa sensibilité qui palpite et bondit à la lecture de Shakespeare,