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l’abaissement profond et fatal de l’animal enchaîné. Comme dans Rembrandt, il y a des sous-entendus profonds et humanitaires, une suprême ironie ressort ici sous forme d’enseignement. C’est qu’une réalité humaine, même fortuite, peut contenir un reproche d’outre-siècle, et peut participer, par sa durée, à la marche infinie vers le mieux. Il s’agit qu’elle ait été prise sur le fait par quelque grand enfant terrible, comme l’humanité, lasse de sa pose, sait quelquefois en laisser passer à travers le crible de la Règle. Les Bébés divins, qui n’ont pas la durée moyenne pour grandir, deviennent des hommes, et même de grands hommes, lorsque les autres s’acheminent vers le tombeau, impuissants et vaincus, désarmés, dégradés, c’est justice. M. Robert Fleury s’éteint et finit honnête ; il a dit du maître, qu’il avait autrefois nié, contesté : « C’est un grand peintre ». Ce jugement est de ceux qui vont s’élever bientôt pour grandir et hausser le nom de Courbet à travers la vie difficile que rencontre l’œuvre d’art dans la postérité.

Courbet était de taille haute, puissant. Des yeux grands et doux éclairaient sa physionomie débonnaire où l’orgueil par éclairs éveillait des vivacités. « Je prendrai le fusil, malgré mon génie », dit-il, lors de la guerre, à l’heure où l’ennemi envahissait. Un éloge le transformait, le dominait ; il devenait, à la louange, un enfant que l’on conduirait.

(Mai 1882.)

RÉFLEXIONS SUR UNE EXPOSITION
DES IMPRESSIONNISTES

Il est à craindre que Berthe Morisot n’ait déjà donné toute la mesure de son talent ; elle est comme une fleur qui a donné son parfum et qui se fane hélas, comme toutes les éclosions exquises et passagères. La seule femme peut-être qui ait