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toujours l’expression de ce vague sentimentalisme germain qui pour cela n’est point nouveau parmi nous, et qui demanderait à être donné avec moins d’emphase. On n’annule point des qualités contradictoires. Celui dont nous avons vu des fleurs mortes exquises ne sait point organiser son tableau. Changez par la pensée, la place d’un personnage, d’un objet, et son tableau n’en est pas moins aussi relativement bon. Il n’organise que des couleurs, des roses, des bleus, des verts, des jaunes, etc.

La perspective aérienne ne lui est pas plus connue ; son domaine, son univers, est cantonné dans un espace de trois mètres, devant un mur où se dressent Mme  X., M. Z., avec un chapeau sur la tête. Le paysage lui est inconnu ; il échoue avec une incapacité surprenante quand il lui faut peindre un horizon. (C’est là un oubli du monde vital qui n’est pas moins grand chez les musiciens.) C’est en vain que les beaux ouvrages de Cazin, qu’il imite, le poursuivent dans son rêve : il cherche inutilement ce que l’autre a nativement trouvé.

« Faire des copies est le plus grand bonheur que je connaisse », a-t-il dit à une personne qui préférait l’étude de l’antique à la peinture elle-même. Il répondit que cette passion du marbre grec, quand elle était sincère, ne naissait chez l’artiste que plus tard. On pourrait croire que la recherche du beau est venue hanter cette organisation romantique. Aux dernières productions de ce peintre on peut voir des tendances à simplifier cette palette primitivement si touffue et si exubérante.

Fantin-Latour fait du naturalisme à la portée des gens du monde, Bastien Lepage aussi. Celui-ci fait de la campagne et du paysan un tableau décent, bourgeois, présentable, où rien ne choque la vue de ceux qui n’y vivent point. Qu’il peigne un bûcheron, un mendiant, le spectateur ignorera toujours les tristesses de la condition de ces êtres, ce qui serait un reproche, et admirera placi-